« La question des Arméniens du Haut-Karabakh n’est pas une affaire de frontières ou d’ethnie, mais d’universalité des droits humains », considèrent 23 parlementaires internationaux

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Dès l’annonce de la démission du directeur général de la BBC, Tim Davie, ainsi que de sa directrice de l’information Deborah Turness, des voix anonymes au sein de la Corporation ont dénoncé un coup monté par tous ceux qui voudraient la faire disparaître : les trumpistes, les conservateurs… et le propriétaire de l’hebdomadaire Jewish Chronicle, le conservateur Robbie Gibb, ex-directeur de la communication de l’ancienne première ministre Theresa May et membre du conseil d’administration de la chaîne publique depuis 2021… Pourtant, la "Beeb", comme on l’appelait autrefois avec affection, est seule responsable de ce qui lui arrive.
L’affaire qui a précipité la crise est un montage à charge contre Donald Trump diffusé une semaine avant sa réélection en novembre 2024. En raboutant deux éléments de phrases prononcés au début et à la fin d’un long discours le 6 janvier 2021, l’émission d’investigation Panorama a laissé croire aux téléspectateurs que Donald Trump avait appelé directement à marcher sur le Capitol et à s’y battre. En fait, il avait tout d’abord incité "à venir encourager les membres du Congrès" pour les convaincre, puis 50 minutes plus tard, à "se battre, se battre comme des beaux diables" pour faire entendre leur voix. L’émission avait été vue et validée par le "Bureau de vérification et d'éthique" de la Corporation. Personne n’avait rien trouvé à redire à ce que l’on ne peut que nommer une "fake news". C’est un rapport, fuité à la presse début novembre, qui a révélé l’affaire et mit le feu aux poudres.
Ce rapport de 19 pages signé Michael Prescott, ancien conseiller indépendant du "Comité des normes éditoriales" de la BBC, met en lumière un nombre impressionnant de sérieux manquements à l’impartialité, notamment dans les reportages sur Donald Trump, le conflit israélo-palestinien et les questions de genre. Ce rapport se fonde notamment sur l’analyse d’un conseiller éditorial interne à la BBC, David Grossman, qui avait étudié le contenu de toute la production journalistique de la BBC entre mai et octobre et 2024 et dont les conclusions avaient été soigneusement rangées dans un tiroir. Grossman alertait alors sur des défaillances "systémiques".
La BBC est financée par le public, pour le public. Ses détracteurs, notamment conservateurs, ont toujours essayé de rogner son budget. Et à chaque renouvellement de sa licence, tous les dix ans, il lui faut convaincre le gouvernement du moment de la nécessité de son existence. En 2017, l'exécutif conservateur réduisait son budget d’un tiers, un coup rude entraînant des coupes drastiques et de nombreux plans de licenciement. La BBC devait soudain fonctionner avec 700 millions de livres sterling en moins. L’arrêt d’émissions d’actualité et d’analyses phares et pourtant peu coûteuses comme Hard Talk et Dateline London, alors que le salaire à sept chiffres de présentateurs sportifs était maintenu, a été mal accueilli. Une hémorragie de talents a suivi. Des médias concurrents ont attiré les meilleurs journalistes politiques de la BBC, comme Andrew Marr et Emily Maitlis. Pour compenser ces départs, la Corporation a embauché de jeunes journalistes tout juste sortis de l’université, beaucoup moins coûteux mais aux opinions souvent plus tranchées.
La charte de la BBC indique que la première de ses missions est de fournir au pays des informations exactes et des analyses impartiales. Mais sur certains sujets, la BBC ne remplit plus sa mission depuis longtemps. Selon Sonia Sodha, ancienne conseillère du leader du parti travailliste entre 2020 et 2016, qui suit de près le sujet des transgenres, la BBC s’est montrée depuis une quinzaine d’années dangereusement partiale, présentant "l’idéologie du genre" comme un fait établi (à savoir que les hommes doivent pouvoir s’auto-identifier comme femmes s’ils le désirent et ainsi, par exemple, accéder aux espaces et compétitions réservés aux femmes). "La couverture médiatique de la BBC tend trop souvent à présenter comme un fait avéré la croyance quasi religieuse selon laquelle chacun posséderait une 'âme genrée' appelée 'identité de genre', et que toute remise en question de cette idée serait une forme d’intolérance", résume cette spécialiste.
En 2018, la BBC crée un département LGBT+ et recrute deux correspondants spécialisés, l’un est "LGBT correspondent", l’autre "gender and identity correspondent". Ces jeunes journalistes inexpérimentés refusent de traiter de sujets allant à l’encontre de leurs convictions. "Leurs producteurs ont laissé faire, terrifiés à l’idée de recevoir des plaintes pour discrimination anti-LGBT", note Janice Turner, éditorialiste au Times. En 2014, une émission pour enfants, I am Leo, produite en partenariat avec le groupe militant All about Trans, montrait une petite fille haïssant "son horrible corps de fille" et préférant "jouer à des jeux de garçons" comme le football. L’augmentation nette du nombre de filles disant souffrir de dysphorie de genre et se rendant dans des cliniques spécialisées a accompagné les diffusions de cette émission. Après le rapport du Dr Hilary Cass publié en 2024 et critiquant sévèrement les pratiques médicales douteuses menées sur ces enfants, la BBC a retiré I am Leo de son site et fait un peu le ménage dans ses équipes.
Cependant, le sujet, toujours brûlant, continue à faire dérailler la BBC. Récemment, Justin Webb et Martine Croxall, deux présentateurs et journalistes vedettes, ont reçu un blâme de la part du "Comité des plaintes" de la BBC : le premier avait clarifié qu’"une femme trans est née homme" et la deuxième avait corrigé l’expression apparue sur son téléprompteur de "gens enceintes" pour "femmes enceintes". Pour Sonia Sodha, "si la BBC, financée par le public, devient partie prenante dans les guerres culturelles qui traversent la société, sa raison d’être s’effondre."
Un autre sujet brûlant dans lequel la BBC s’est embourbée est le conflit israélo-palestinien. En juin dernier, Michael Prescott alertait déjà sur les dérives sectaires du service en arabe de la BBC. Un exemple parmi des dizaines d’autres dans le rapport : le contributeur Ahmed Alagha, "présenté comme journaliste", et qui décrit les Israéliens comme "moins que des humains" et les "juifs" comme "l’incarnation du diable", est apparu à l’antenne 522 fois entre novembre 2023 et avril 2025, soit en moyenne tous les jours pendant 17 mois. La liste de ces collaborateurs réguliers à BBC Arabic vouant une haine contre Israël est longue. En octobre dernier, la BBC fut contrainte d’avouer que le narrateur de 13 ans de son documentaire Gaza : How to survive a warzone n’était autre que le fils d’un haut dirigeant du Hamas. En juin, lors du festival de Glastonbury que la BBC retransmettait en léger différé, personne à la Corporation n’a trouvé à redire quand le chanteur de Bob Vylan, l’un des groupes sur scène, a appelé à la mort des soldats israéliens en scandant "death, death to the IDF [NDLR : l'abréviation désignant les forces de défense israéliennes]".
Matthew Syed, journaliste et producteur de l’émission Sideways sur BBC Radio 4, estime que la majorité des Britanniques est attachée à la "Beeb" et à la notion de service public, mais qu’elle s’inquiète aussi des dérives idéologiques existant au sein de la maison. "Ce qu’il y a de plus frappant dans les conclusions du rapport Prescott, ce n’est pas le nombre d’erreurs (toutes les organisations en commettent), mais la manière dont elles se répètent et s’organisent", estime-t-il. En d’autres termes, beaucoup de journalistes de la BBC ont perdu l’habitude de se remettre en question. L’entre-soi qui y règne est tel, les convictions comme l’anti-trumpisme y sont tellement arrêtées, que "manipuler les propos de Trump leur a paru légitime. Et il n’y a eu personne parmi eux pour défendre un point de vue contraire."
D’après le centre de recherche indépendant More in Common, un grand nombre d’institutions comme la BBC sont dominées par des "militants progressistes", alors que ceux-ci ne représentent que 13 % de la population, d’où un biais cognitif et une déconnexion avec le grand public. D'après Syed, il faut remonter aux années 1960 et à l’université pour comprendre ce phénomène. "A cette époque, le ratio entre enseignants universitaires de gauche et ceux de droite était de 3 pour 1, aujourd’hui il est de 8 pour 1. Les étudiants n’ont cessé de pencher à gauche et, une fois diplômés, s’installent surtout dans les grandes villes notamment à Londres où ils constituent des réseaux d’amitié qui opèrent également dans les institutions dans lesquelles ils travaillent."
Comme le dit The Economist, la BBC est à la fois exaspérante mais indispensable. Sa branche internationale, le World Service, avec ses services en 42 langues et son audience de 400 millions de téléspectateurs et auditeurs, représente dans de nombreux pays l’une des rares voix démocratiques. Il est évidemment vital que la BBC continue à exister. Cependant, en prenant part aux guerres culturelles et idéologiques au lieu de se placer au-dessus de la mêlée, la BBC a mis en péril sa propre survie alors même qu’elle s’apprête à renégocier les termes de sa licence avec le gouvernement.
Il est vital, insiste Syed, que la BBC représente toutes les opinions politiques et pas seulement une variété d’inclinations sexuelles, d’origines sociales et de couleurs de peau, et elle doit également accueillir en son sein des gens brillants qui ne sont pas allés à l’université. Encore plus important, elle doit penser contre elle-même. C’est en examinant sans complaisance les défaillances de sa ligne éditoriale — qui l’a rendue si vulnérable à l’entrisme de minorités militantes — qu’elle pourra se relever. Seule la BBC peut se sauver elle-même.

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