↩ Accueil

Vue lecture

Guerre en Ukraine : les Américains et Volodymyr Zelensky proches du point de rupture

Les négociateurs ukrainiens qui, ce samedi 29 novembre, volent vers les États-Unis pour discuter avec les Américains du plan de paix, doivent avoir le cœur bien lourd. Leur chef, Andriy Yermak, qui était chargé de mener des négociations probablement très délicates avec la Maison-Blanche, n’est pas avec eux. Et il ne le sera plus jamais. Hier, l’omnipotent chef de cabinet de Volodymyr Zelensky a fait ses cartons, en raison des graves soupçons de corruption qui pèsent sur lui.

Autant dire que l’accueil à Washington risque d’être glacial. "Yermak n’était guère apprécié dans l’entourage de Donald Trump, évoque un diplomate de haut rang, qui l’a souvent vu à l’œuvre dans des 'bilatéraux'. Les rapports avec lui pouvaient être très abrasifs, mais c’était un roc. Les Américains considéraient que c’était lui qui tenait les positions ukrainiennes."

Semaine à haut risque

Sa démission met Volodymyr Zelensky en situation de faiblesse à la veille d’une semaine à haut risque. Selon le Telegraph, Donald Trump serait prêt à reconnaître le contrôle de la Russie sur la Crimée et "d’autres territoires occupés" – expression qui pourrait désigner des oblasts de Donetsk et de Loughansk.

En début de semaine prochaine, ses fidèles émissaires, Steve Witkoff et Jaresh Kushner, devraient apporter la bonne nouvelle au chef du Kremlin. Près de quatre ans après le lancement de son invasion, Poutine pourrait donc voir ses principales exigences satisfaites par "l’ami américain" qui, en dépit de tous les efforts européens pour plaider la cause ukrainienne, n’a jamais dévié de son intime conviction.

"Trump a une vision du monde qui s’est arrêtée à la fin des années 1980, regrette Camille Grand, chercheur et ex-secrétaire général adjoint de l’Otan. Contrairement à Obama, qui qualifiait Moscou de puissance régionale, lui est convaincu que la Russie est une superpuissance et que, par conséquent, elle ne peut pas perdre cette guerre." En outre, "le président américain connaît bien davantage les Russes, qu’il fréquentait déjà à l’époque de Gorbatchev ; en réalité, il n’a aucun respect pour les Ukrainiens, opine de son côté François Heisbourg, ancien diplomate et conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris. Trump aime les forts et veut passer pour le plus grand faiseur de paix de l’Histoire. Ces simples éléments suffisent à lui dicter son choix stratégique."

Le scandale qui, depuis quelques jours, éclabousse la présidence ukrainienne, n’arrange rien. Au contraire, il risque de braquer un peu plus l’administration "Maga" [NDLR : Make America Great Again] qui, pour une grande part, associe l’Ukraine à un pays corrompu. Et les Républicains ne sont pas les seuls à le penser. "J’ai passé un mois en Ukraine lorsque j’étais sénateur et vice-président. Il y avait une corruption importante. La situation était vraiment difficile", confiait Joe Biden au magazine Time en juin 2024, pour justifier son refus de soutenir l’intégration de Kiev dans l’Otan.

Pression américaine

Que peut-il se passer ces prochains jours ? Il est parfaitement possible que le président américain, pressé de se débarrasser de ce dossier, annonce qu’il est parvenu à se mettre d’accord avec la partie russe. Steve Witkoff en est en tout cas persuadé. "Je pense que nous allons y arriver […] et que le président me laissera beaucoup de marge de manœuvre afin de parvenir à un accord", assurait-il au conseiller diplomatique de Poutine, Iouri Ouchakov, dans une conversation téléphonique révélée par Bloomberg, la semaine dernière.

S’agira-t-il du plan américain, dévoilé le 21 novembre dernier, qui reprenait in extenso les desiderata russes ? Si tel est le cas, il sera très certainement rejeté par Kiev et les Européens, soulevant l’ire d’un Donald Trump qui mettra alors la pression sur ses "alliés" et menacera de couper son aide à l’Ukraine, notamment en matière de renseignements militaires. La balle sera alors dans le camp des Européens. "Encore faudrait-il que ceux-ci s’accordent pour présenter un plan alternatif ! critique Camille Grand. Pour l’instant, ils sont peu clairs sur ce qu’ils veulent faire. Le problème, c’est que les Européens sont davantage dans la réaction à Trump que dans l’action…" Pis, ils se déchirent parfois carrément entre eux – comme sur le sujet des avoirs russes gelés – plutôt que de présenter sous un front uni.

Tous ces sujets seront évoqués lundi, à Paris, lorsque Volodymyr Zelensky sera reçu par Emmanuel Macron. Le président ukrainien exposera sans doute à son homologue français les réformes d’ampleur qu’il vient d’annoncer pour moderniser le "plan ukrainien de défense" et mettre fin à la crise politique qui déchire le pays. Une manière de tenter de rassurer son allié dans ces heures cruciales.

© AFP

  •  

Guerre en Ukraine : les Américains et Volodymyr Zelensky proches du point de rupture

Les négociateurs ukrainiens qui, ce samedi 29 novembre, volent vers les États-Unis pour discuter avec les Américains du plan de paix, doivent avoir le cœur bien lourd. Leur chef, Andriy Yermak, qui était chargé de mener des négociations probablement très délicates avec la Maison-Blanche, n’est pas avec eux. Et il ne le sera plus jamais. Hier, l’omnipotent chef de cabinet de Volodymyr Zelensky a fait ses cartons, en raison des graves soupçons de corruption qui pèsent sur lui.

Autant dire que l’accueil à Washington risque d’être glacial. "Yermak n’était guère apprécié dans l’entourage de Donald Trump, évoque un diplomate de haut rang, qui l’a souvent vu à l’œuvre dans des 'bilatéraux'. Les rapports avec lui pouvaient être très abrasifs, mais c’était un roc. Les Américains considéraient que c’était lui qui tenait les positions ukrainiennes."

Semaine à haut risque

Sa démission met Volodymyr Zelensky en situation de faiblesse à la veille d’une semaine à haut risque. Selon le Telegraph, Donald Trump serait prêt à reconnaître le contrôle de la Russie sur la Crimée et "d’autres territoires occupés" – expression qui pourrait désigner des oblasts de Donetsk et de Loughansk.

En début de semaine prochaine, ses fidèles émissaires, Steve Witkoff et Jaresh Kushner, devraient apporter la bonne nouvelle au chef du Kremlin. Près de quatre ans après le lancement de son invasion, Poutine pourrait donc voir ses principales exigences satisfaites par "l’ami américain" qui, en dépit de tous les efforts européens pour plaider la cause ukrainienne, n’a jamais dévié de son intime conviction.

"Trump a une vision du monde qui s’est arrêtée à la fin des années 1980, regrette Camille Grand, chercheur et ex-secrétaire général adjoint de l’Otan. Contrairement à Obama, qui qualifiait Moscou de puissance régionale, lui est convaincu que la Russie est une superpuissance et que, par conséquent, elle ne peut pas perdre cette guerre." En outre, "le président américain connaît bien davantage les Russes, qu’il fréquentait déjà à l’époque de Gorbatchev ; en réalité, il n’a aucun respect pour les Ukrainiens, opine de son côté François Heisbourg, ancien diplomate et conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris. Trump aime les forts et veut passer pour le plus grand faiseur de paix de l’Histoire. Ces simples éléments suffisent à lui dicter son choix stratégique."

Le scandale qui, depuis quelques jours, éclabousse la présidence ukrainienne, n’arrange rien. Au contraire, il risque de braquer un peu plus l’administration "Maga" [NDLR : Make America Great Again] qui, pour une grande part, associe l’Ukraine à un pays corrompu. Et les Républicains ne sont pas les seuls à le penser. "J’ai passé un mois en Ukraine lorsque j’étais sénateur et vice-président. Il y avait une corruption importante. La situation était vraiment difficile", confiait Joe Biden au magazine Time en juin 2024, pour justifier son refus de soutenir l’intégration de Kiev dans l’Otan.

Pression américaine

Que peut-il se passer ces prochains jours ? Il est parfaitement possible que le président américain, pressé de se débarrasser de ce dossier, annonce qu’il est parvenu à se mettre d’accord avec la partie russe. Steve Witkoff en est en tout cas persuadé. "Je pense que nous allons y arriver […] et que le président me laissera beaucoup de marge de manœuvre afin de parvenir à un accord", assurait-il au conseiller diplomatique de Poutine, Iouri Ouchakov, dans une conversation téléphonique révélée par Bloomberg, la semaine dernière.

S’agira-t-il du plan américain, dévoilé le 21 novembre dernier, qui reprenait in extenso les desiderata russes ? Si tel est le cas, il sera très certainement rejeté par Kiev et les Européens, soulevant l’ire d’un Donald Trump qui mettra alors la pression sur ses "alliés" et menacera de couper son aide à l’Ukraine, notamment en matière de renseignements militaires. La balle sera alors dans le camp des Européens. "Encore faudrait-il que ceux-ci s’accordent pour présenter un plan alternatif ! critique Camille Grand. Pour l’instant, ils sont peu clairs sur ce qu’ils veulent faire. Le problème, c’est que les Européens sont davantage dans la réaction à Trump que dans l’action…" Pis, ils se déchirent parfois carrément entre eux – comme sur le sujet des avoirs russes gelés – plutôt que de présenter sous un front uni.

Tous ces sujets seront évoqués lundi, à Paris, lorsque Volodymyr Zelensky sera reçu par Emmanuel Macron. Le président ukrainien exposera sans doute à son homologue français les réformes d’ampleur qu’il vient d’annoncer pour moderniser le "plan ukrainien de défense" et mettre fin à la crise politique qui déchire le pays. Une manière de tenter de rassurer son allié dans ces heures cruciales.

© AFP

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Ankara, le 19 novembre 2025.
  •  

Andrius Kubilius sur la menace russe : "Il faut prendre au sérieux les alertes de nos services de renseignement"

Quand on est né à Vilnius et que l’on a un voisin qui s’appelle la Russie, on connaît le sens du mot menace. Depuis septembre 2024, Andrius Kubilius occupe le poste de Commissaire européen à la défense. Un poste créé sur mesure pour cet ancien Premier ministre de Lituanie, qui ferraille sans relâche pour que l’Union européenne prenne réellement conscience de la menace qui pèse sur elle. Invité au colloque Europe de L’Express, qui s’est tenu à Strasbourg le 24 novembre, il nous livre ses réflexions sur le plan de paix de Donald Trump et sur la Russie d’après-Poutine. Verbatim.

Un plan de paix européen

"Nous passons notre temps à discuter des plans de paix américains, mais il serait beaucoup plus intéressant que nous, Européens, élaborions notre propre plan avec les Ukrainiens, puis que nous en discutions avec nos partenaires, à Washington, pour aboutir à un document final. Il est crucial que celui-ci empêche des agressions futures contre l’Ukraine et l’Europe. Or, certaines dispositions inscrites dans le plan initial américain auraient incité Poutine à des attaques futures contre l’Ukraine et l’Europe.

Il est par exemple inacceptable de diminuer les capacités de l’armée ukrainienne ou de décréter que l’Ukraine ne fera jamais partie de l’Otan. Pourquoi Vladimir Poutine demande-t-il ça ? Deux possibilités : soit il craint que l’Otan utilise le territoire ukrainien pour attaquer la Russie, ce qui est, de mon point de vue, complètement absurde. L’Otan est une alliance de défense qui ne planifie jamais d’opération agressive ; soit il prévoit d’agresser de nouveau l’Ukraine un jour, et son appartenance à l’Otan lui poserait problème."

Attaque russe

"Il faut prendre au sérieux les avertissements des services de renseignement allemands, danois et français, qui évoquent la possibilité que la Russie teste militairement un membre de l’Otan ou de l’UE dans les deux ou trois prochaines années. Il faut donc accroître nos capacités de défense - ce que nous sommes en train de faire.

S’il y a un jour une agression de la Russie contre un membre de l’Otan ou de l’UE, que ce soit dans la mer Baltique, en Pologne ou dans des pays voisins, il faudra être prêt, d’autant que l’armée russe est plus forte qu’en 2022. Elle possède des millions de drones. Face à elle, il y a l’armée ukrainienne, très aguerrie. A cet égard, nous devrions intégrer les capacités de l’industrie de défense ukrainienne à nos propres capacités, ce devrait être l’une des priorités stratégiques, car cela nous rendrait beaucoup plus forts."

Espace Schengen militaire

"Il faut adapter les ponts, les routes et les tunnels pour faciliter la mobilité militaire. Dans le prochain budget 2028-2034, nous investirons 17 milliards d’euros dans la mise à niveau des infrastructures. Ce n’est pas suffisant. Pourquoi met-on actuellement 45 jours pour acheminer des renforts ? Parce qu’à chaque frontière, de l’Espagne à la mer Baltique, il faut demander une permission de passage. Et cela prend souvent plusieurs jours pour l’obtenir. Pour régler ce problème, une nouvelle loi entrera en vigueur en 2027. Elle permettra d’obtenir un permis de circuler unique en trois jours."

Russie post-Poutine

"Une Russie agressive, néo impérialiste et autoritaire est une menace pour la paix de tout le continent. L’Europe doit aider la Russie à se transformer et à revenir à une certaine normalité. Par le passé, les Européens sont parvenus à assurer la paix sur le continent européen – notamment après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il a fallu résoudre les'conflits tectoniques'entre la France et l’Allemagne.

Aujourd’hui, nous n’avons pas de stratégie pour résoudre les nouveaux problèmes tectoniques. Certes, personne ne peut prédire comment la Russie va évoluer, mais son histoire montre que les changements peuvent survenir très vite. Nous devons être prêts. L’un des moyens à notre disposition consiste à investir fortement dans le succès de l’Ukraine, car celui-ci pourra, à son tour, inciter le peuple russe à chercher une alternative. Cette guerre n’est pas seulement une tragédie pour l’Ukraine, mais aussi pour la Russie. Et la raison de la tragédie, c’est le régime de Poutine. Nous ne pourrons pas transformer le pays tant qu’il sera au pouvoir, mais il y aura un jour une Russie post-Poutine. Ce sera peut-être pire, mais peut-être mieux… Alors investissons dans cette transformation, même si celle-ci demeure très incertaine."

© Claudio Centonze/European Commission

Depuis septembre 2024, Andrius Kubilius occupe le poste de Commissaire européen à la défense.
  •