Missiles, drones, lasers : derrière la parade militaire de la Chine, un avertissement aux Etats-Unis
Pour la parade militaire des 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Chine, il y avait du beau monde sur la tribune érigée au niveau de la porte de la Cité interdite, juste au-dessus du portrait de Mao Zedong, place Tiananmen. A droite du président chinois Xi Jinping se trouvait Vladimir Poutine. Et à sa gauche, Kim Jong Un, venu spécialement en train blindé. Et non loin, les présidents d’Indonésie, d’Iran, de plusieurs républiques d’Asie centrale et du Caucase, et de quelques autres pays amis, comme Cuba ou le Zimbabwe.
Face à une foule entonnant des chants patriotiques et remuant de petits drapeaux chinois, tous ces dirigeants - pour la plupart des autocrates - ont pu admirer pendant plus d’une heure le défilé millimétré, et préparé de longue date, de l’Armée populaire de libération, en plein cœur de Pékin. Plus qu’une commémoration et qu’un grand raout diplomatique, il s’agissait d’une démonstration de force. La Chine a profité de cet événement pour dévoiler un grand nombre de nouveaux systèmes d’armement, avec l’objectif de nourrir l’idée que la modernisation en cours la rendait "inarrêtable", comme l’a déclaré Xi Jinping dans son discours.
Cet étalage de capacités intervient dans un contexte de tensions grandissantes entre Pékin et l’île de Taïwan, dont elle revendique la pleine souveraineté. Washington, soutien affirmé de l’autonomie taïwanaise, est prévenu : le régime communiste dispose de plus en plus de moyens pour reprendre le contrôle de ce territoire qui lui échappe. "Le message aux Etats-Unis et leurs alliés réside dans le choix des équipements présentés, pas dans la parole, souligne Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne. Dans le cadre de la compétition sino-américaine en cours, chaque système est une réponse à des forces adverses ou des vulnérabilités perçues."
Alors que les Etats-Unis sont engagés dans une vaste modernisation de leur arsenal nucléaire, la Chine a ouvert son cortège du 3 septembre avec des armes atomiques susceptibles d’être tirées depuis les airs, les mers ou le sol. Placé dans des silos, le DF-5C, dont les trois étages ont été répartis sur différents camions, est susceptible d’atteindre n’importe quelle partie du globe, selon la propagande. S’y ajoutent de nouveaux vecteurs, remarqués par certains spécialistes, comme le DF-61, tracté, et le missile aéroporté JL-1. Et pour que la panoplie de la "triade" soit complète, le JL-3, tiré depuis un sous-marin, a été également montré.
Lasers et missiles antimissile
Tous ces missiles doivent permettre d’accueillir les ogives atomiques produites en masse ces dernières années. Car cette modernisation s’accompagne aussi d’une augmentation du nombre de têtes. La Chine en posséderait plus de 600, soit 100 de plus qu’en 2024, selon les estimations de la Fédération des scientifiques américains, une ONG indépendante. Le ministère de la Défense américain estime, pour sa part, qu’elle pourrait en détenir 1 500 en 2035, ce qui la rapprocherait de la Russie et des Etats-Unis en nombre de têtes déployées (en excluant, donc, les ogives conservées en réserve par ces pays).
Comme elle l’a déjà fait, la Chine a présenté des missiles (DF-17, DF-26D), dont certains sont capables de neutraliser les défenses américaines jusqu’à l’île de Guam, à 4 000 kilomètres des côtes. Cette fois-ci, elle a particulièrement mis l’accent sur des moyens dédiés à la destruction de navires avec le YJ-17 (planeur hypersonique), le YJ-19 (missile de croisière hypersonique), tous deux manœuvrables, le YJ-1 a (missile de croisière supersonique) et le YJ-20 (missile balistique). "Les Chinois sont dans la grande continuité de la priorité donnée, dès le milieu des années 1990, à des moyens empêchant les capacités navales américaines de s’approcher de son territoire", constate Mathieu Duchâtel.
En ce qui concerne l’antiaérien, la Chine a présenté des armes laser et d’autres à micro-onde. Alors que la guerre en Ukraine démontre chaque jour la nécessité de contrer les menaces venues du ciel, elle a aussi présenté lors de cette grande parade son dernier système de missiles antimissile, avec le HQ-29. Ces deux vecteurs montés sur un long camion sont susceptibles d’arrêter des missiles balistiques en haute altitude, comme le font des moyens américains, mais également de détruire des satellites en orbite basse.
Mystérieuses capacités
Le défilé a aussi été l’occasion de présenter de nouveaux blindés, des avions de combat de cinquième génération et différents types de drones aériens, dont des ailes volantes accompagnant des chasseurs habités. Elle a aussi permis d’exhiber deux grands drones sous-marins d’une vingtaine de mètres de longueur, l’AJX-002 et le HSU100. Si leurs capacités restent encore un mystère, elles permettent à la Chine d’affirmer qu’elle a progressé dans la lutte sous-marine, considérée comme l’une de ses faiblesses depuis des années.
Mais on aurait tort de penser que les Etats-Unis sont forcément dépassés par cette profusion de moyens et d’indéniables progrès. De leur côté, ils développent également des moyens susceptibles de bloquer toute invasion de Taïwan – l’île elle-même met l’accent sur la production de drones et missiles antinavire souverains. Au Washington Post, il y a un an, l’amiral Samuel Paparo expliquait vouloir "transformer le détroit de Taïwan en un enfer dronisé en utilisant un certain nombre de capacités classifiées, afin de leur rendre la vie impossible pendant un mois." De quoi gagner du temps pour faire venir des renforts. Un défilé, tout impressionnant qu’il soit, ne signifie pas que la partie est gagnée.
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