Les sénateurs veulent imposer aux entreprises d’IA de rémunérer les ayants droit
Réponse graduée

Dans un rapport, les sénatrices Laure Darcos, Agnès Evren, et le sénateur Pierre Ouzoulias veulent fixer huit principes « destinés à fixer les conditions d’une rémunération appropriée pour l’utilisation des contenus culturels, afin d’assurer un partage équitable de la valeur ».
Le sénat français a publié ce mercredi 9 juillet un rapport sur les liens « création et l’IA » sous-titré « de la prédation au partage de la valeur ». Les trois rapporteurs Laure Darcos, Agnès Evren et Pierre Ouzoulias y affirment que « la mission s’est forgé la conviction que l’opposition entre IA et création artistique était non seulement stérile, mais également mortifère pour les deux secteurs » et veulent « ouvrir une réelle troisième voie de l’IA, respectueuse des droits et inspiratrice pour la création ».
En creux, elle fait quand même le constat de relations déséquilibrées entre les ayants droit culturels et les fournisseurs d’IA. Et elle cherche à les rééquilibrer, notamment en proposant de fixer huit principes « à respecter dans le cadre de l’élaboration concertée d’un modèle de rémunération des contenus culturels utilisés par l’IA ».
Une rémunération, mais pas un solde de tout compte
Le premier d’entre eux est celui « d’une rémunération pour l’ensemble des contenus culturels utilisés par les fournisseurs et déployeurs d’IA, quel que soit le moment du processus où ils sont utilisés », qu’ils considèrent « aussi légitime qu’incontestable ». Les autres principes en découlent.
Par exemple, il affirme que la transparence sur les données utilisées par les fournisseurs d’IA « apparaît comme la condition nécessaire – mais non suffisante – de la rémunération ». Mais aussi que la rémunération doit se faire en fonction des « flux de revenus générés par l’IA » et qu’elle ne doit pas se résumer « à un simple paiement, pour solde de tout compte, d’un jeu initial de données ».
Un marché de la donnée ?
Les sénateurs veulent aussi mettre en place un véritable « marché de la donnée », avec en préalable « la création de bases de données disponibles, larges, à défaut d’être complètes, qui comporteraient aussi bien les références que les fichiers, dans un format utilisable par les fournisseurs d’IA ». Pour appuyer leur volonté, ils s’appuient sur l’exemple du secteur musical et le travail effectué avec les plateformes de streaming. Ils poussent donc « l’ensemble des filières créatives et la presse » à se mobiliser pour la création de ces bases de données en s’accordant sur des standards et procédures communes.
Dans ce rapport, les sénateurs français plaident pour que les deux secteurs s’engagent dans un « dialogue pour parvenir à des accords mutuellement avantageux qui éteindront les contentieux en cours, par exemple, par le biais de contrats rétroactifs ».
« Le passé doit être soldé »
En effet, ils affirment que « l’exception TDM [Text and data mining] a été largement détournée de sa vocation initiale et qu’une vaste quantité de données protégées ont été moissonnées hors de tout cadre légal ». Cette exception sur la fouille de textes et l’extraction de données a été introduite par la directive européenne de 2019 sur les droits d’auteur. Les sénateurs s’appuient notamment sur l’avis du rapporteur d’Axel Voss « qui a rappelé que cette exception n’avait pas été introduite à l’origine pour des modèles d’affaires, mais que sa rédaction peu satisfaisante avait ouvert le champ à un usage plus large ». Et ils évoquent les multiples contentieux en cours. Mais pour eux, « le passé doit être soldé » et il faudrait rapidement « parvenir à un règlement financier pour les usages passés des contenus culturels, afin de compenser les ayants droit culturels et sécuriser juridiquement les fournisseurs d’IA ».
Pour pousser les deux secteurs à passer des accords, les sénateurs aimeraient bien s’appuyer sur l’exemple des droits voisins mais, selon leur rapport, celui-ci n’est « pas tout à fait transposable ». Notamment, parce qu’ils ne sont pas certains que « l’Autorité de la concurrence puisse exercer pour l’heure une telle action dans le domaine de l’IA ». « En effet, ce secteur n’est pas caractérisé, comme celui des moteurs de recherche, par une position dominante qu’il lui reviendrait alors de réguler », expliquent-ils.
Pour encourager le respect des droits, ils incitent les acteurs de la culture à mettre en place un système qui donne un « réel avantage comparatif » aux entreprises d’IA qui signeraient avec eux, en leur fournissant des bases de données les plus qualitatives possibles et alimentées par un « catalogue rare pas encore accessible ».
En parallèle, les sénateurs incitent l’industrie culturelle à « tirer profit des revenus générés par le marché de l’IA pour promouvoir la diversité de la création culturelle et le pluralisme de la presse ».
Enfin, ils affirment le principe déjà maintes fois évoqué que « les créations générées par l’IA doivent être étiquetées ».
Après la riposte graduée, la réponse graduée
Pour l’instant, tous ces principes sont des directions conseillées aux deux secteurs par les sénateurs. Mais ils évoquent une « réponse graduée » avec, dans une deuxième temps et en cas d’échec des concertations, la menace d’une initiative législative des sénateurs notamment destinée à «inscrire dans la loi une présomption d’utilisation des données ».
Les sénateurs envisagent une troisième étape, au cas où cette initiative échouerait et menacent les entreprises d’IA d’ « emprunter la voie d’un prélèvement global sur le chiffre d’affaires réalisé sur le territoire national par les différents acteurs de l’IA, fournisseurs comme déployeurs ».