Le plan d’IBM pour des ordinateurs quantiques « à grande échelle et tolérants aux erreurs »
Il y a le bon qubit et le mauvais qubit

Lors du salon Vivatech de la semaine dernière, IBM a présenté son projet de construction d’un « premier ordinateur quantique à grande échelle et tolérant aux erreurs ». Maintenant que la solution technique est trouvée, la mise en œuvre peut commencer, avec des étapes intermédiaires jusqu’en 2029.
IBM a présenté sa nouvelle feuille de route pour arriver à son objectif de passer à 200 qubits en 2029 (puce Starling) puis à 2 000 qubits (puce Blue Jay) à partir de 2033… On pourrait presque penser que cela n’a rien de bien exceptionnel alors que la puce Heron d’IBM est déjà à 133 qubits et même 156 dans sa version R2.
Mais ce serait aller trop vite en besogne puisqu’on ne parle pas des mêmes qubits. Avec les puces actuelles, ce sont des qubits physiques : un qubit utile sur Heron par exemple, correspond à un qubit physique sur le processeur.
200 puis 2 000 qubits logiques
Avec Starling et Blue Jay, IBM parle de qubits logiques. Chaque qubit logique est constitué de plusieurs (dizaines, centaines, milliers…) de qubits physiques. Dans le cas de Starling et Blue Jay, IBM ne souhaite pas communiquer le nombre de qubits physiques sous-jacents dans les deux puces.
Multiplier les qubits physiques pour un seul qubit logiques permet de réduire les taux d’erreurs, un problème important de l’informatique quantique. Si un qubit logique est constitué de 100 qubits physiques et que 98 d’entre eux indiquent une même valeur, ce sera celle utilisée par le qubit logique.
On réduit ainsi mathématiquement le taux d’erreur, ils sont même « supprimés de manière exponentielle avec la taille du groupe [de qubits physiques], ce qui leur permet d’effectuer un plus grand nombre d’opérations », affirme IBM. Cette dernière est loin d’être la seule société à faire ainsi, c’est une approche on ne peut plus classique dans le monde des calculateurs quantiques.

De 100 millions à 1 milliard de portes quantiques
Fin 2024, IBM rappelait à juste titre qu’il n’y avait pas que le nombre de qubits à prendre en compte pour estimer la puissance des machines quantiques, il faut aussi connaitre le nombre de portes utilisables pendant les calculs.
Avec Starling et ses 200 qubits, IBM annonce 100 millions de portes en 2029. À partir de 2033, avec Blue Jay et ses 2 000 qubits, ce sera un milliard de portes. C’est un passage à l’échelle important puisque la puce Heron de 2024 (133 qubits physiques) est donnée pour 5 000 portes « seulement ».
Des portes, il en faut en quantité pour avoir des algorithmes réellement utilisables dans la pratique. Prenons l’exemple de l’algorithme de Shor permettant de « casser » la cryptographie asymétrique (type RSA). Il fait beaucoup parler de lui, mais nous sommes encore loin de pouvoir l’utiliser pour casser du chiffrement sur des milliers de bits.
Vivien Londe (spécialiste quantique chez Microsoft, ex-doctorant Inria) remettait l’église au centre du village il y a quatre ans déjà : il faudrait un « ordinateur quantique de 6 000 qubits parfaits [c‘est-à-dire une puce avec 6 000 qubits logiques, ndlr] et capable de faire de l’ordre de 10 milliards d’opérations » pour mettre « en danger tout un pan de la cryptographie actuelle ». On s’en approchera seulement à partir de 2033 selon la roadmap IBM.
La solution d’IBM, en deux temps
Réussir à multiplier les qubits physiques pour obtenir des qubits logiques les plus « fiables » possibles (en réduisant au maximum le taux d’erreur) est donc tout l’enjeu moderne des ordinateurs quantiques. IBM semble confiant d’arriver à un ordinateur « tolérant aux erreurs ». Si le taux ne sera a priori jamais de 100 %, il est question de 99,9999… avec « plein de 9 » derrière la virgule, nous confirme IBM.
Pour le géant américain, « la création d’un nombre croissant de qubits logiques capables d’exécuter des circuits quantiques, avec le moins de qubits physiques possible, est essentielle pour l’informatique quantique à grande échelle. Jusqu’à aujourd’hui, aucune voie claire vers la construction d’un tel système tolérant aux erreurs sans des frais d’ingénierie irréalistes n’a été publiée ».
IBM affirme justement avoir dépassé un cap sur cette problématique avec la publication d’un article sur des « codes de contrôle de parité à faible densité quantique (qLDPC : quantum low-density parity check) ». Ils permettent de réduire « considérablement le nombre de qubits physiques nécessaires à la correction d’erreurs et réduit les coûts additionnels requis d’environ 90 % par rapport aux autres codes à la pointe ».
Dans un second article, IBM explique « comment décoder efficacement les informations provenant des qubits physiques et trace une voie pour identifier et corriger les erreurs en temps réel avec des ressources informatiques conventionnelles ».
Quantum Loon, Kookaburra et Cockatoo
La nouvelle feuille de route d’IBM prévoit trois étapes intermédiaires avant d’arriver à Starling en 2029.
La première baptisée Quantum Loon est prévue pour 2025. Ce processeur « est conçu pour tester les composants de l’architecture pour le code qLDPC, notamment les « coupleurs de type C » qui connectent les qubits sur de plus longues distances au sein d’une même puce ».


L’année prochaine, ce sera au tour de Kookaburra. Il s’agira du « premier processeur modulaire d’IBM conçu pour stocker et traiter des informations codées ». Il combine une mémoire quantique avec des opérations logiques, « ce qui constitue la base de la mise à l’échelle de systèmes tolérants aux erreurs au-delà d’une seule puce ».
D’autres fabricants travaillent sur de la mémoire quantique, notamment pour connecter entre eux différentes machines quantiques, mais aussi pour transmettre de l’informatique en mode quantique. Nous y reviendrons dans un prochain article.
En 2027, le processeur Cockatoo sera un peu la concrétisation des travaux précédents. Il « intriquera deux modules Kookaburra à l’aide de « coupleurs de type L ». Cette architecture reliera les puces quantiques entre elles comme les nœuds d’un système plus vaste, évitant ainsi la nécessité de construire des puces de taille irréaliste ».
« Ensemble, ces avancées sont conçues pour aboutir à Starling en 2029 », affirme IBM en guise de conclusion.