Orange commercialise des « réseaux quantiques » sur sa fibre, le satellite arrive
T’inquiète, c’est quantique

Orange commercialise, pour la première fois en France, un ensemble de produits permettant à des entreprises de mettre en place un « réseau quantique » à partir de son réseau en fibre optique. Une telle solution permet de s’assurer que le chiffrement des données résistera aux ordinateurs quantiques.
L’informatique quantique fait planer depuis maintenant de très nombreuses années un risque sur la cybersécurité et plus particulièrement le chiffrement des données. Les messages anxiogènes se multiplient au fil des années, à tous les niveaux. Attention par contre à un point important, qui a souvent tendance à passer à la trappe : tous les algorithmes ne sont pas logés à la même enseigne, loin de là même.
Dans les grandes lignes, les algorithmes de chiffrement asymétriques (comme RSA) tomberont purement et simplement avec des ordinateurs quantiques disposant de suffisamment de qubits (on n’y est pas encore). Par contre, avec les algorithmes symétriques (AES par exemple), il suffit de doubler la taille des clés pour se protéger des futurs ordinateurs quantiques.
Faut-il avoir peur des ordinateurs quantiques ? Oui, mais…
La question n’est pas tellement de savoir si l’ordinateur quantique avec des capacités suffisantes (qubits, portes, etc.) va arriver, mais quand il sera une réalité. Il faut donc se préparer dès maintenant, surtout pour des données vitales, dont la durée de vie du « secret » doit être de plusieurs (dizaines d’) années. Idéalement, il aurait même fallu largement anticiper, surtout que la menace est loin d’être nouvelle.
Les chercheurs et experts en cybersécurité n’ont d’ailleurs pas attendu la suprématie quantique sur le chiffrement pour développer des contre-mesures. Chez Google par exemple, des expérimentations ont officiellement débuté il y a quasiment 10 ans pour le grand public, sur des connexions entre Chrome Canary et ses serveurs.
Spoiler alerte : on sait, depuis des années, parfaitement se protéger des méchants ordinateurs quantiques. La théorie ne soulève aucune inquiétude, mais la mise en pratique est plus compliquée (et souvent couteuse). Orange vient de franchir une étape avec le lancement du « premier service commercial de réseau quantique sécurisé en France ». Nous avons été à la rencontre de l’opérateur à Vivatech.
Orange commercialise un « réseau quantique » clé en main
Dans ce court intitulé, « premier service commercial de réseau quantique sécurisé en France », tous les mots sont importants. Ce n’est en effet pas le premier réseau du genre non commercial en France, ni le premier réseau commercial dans le monde ni même en Europe. Orange Business s’est associé à Toshiba pour son service Orange Quantum Defender afin de proposer une solution clé en mains.
Le fonctionnement repose sur deux piliers cryptographiques, bien connu des experts : la distribution de clés quantiques (QKD) et la cryptographie post-quantique (PQC). On en parle même depuis des années sur Next.
La QKD « est la seule méthode de génération de clé offrant une sécurité absolue dans le sens de la théorie de l’information, et elle a l’avantage d’être sûre face à des attaques futures : il n’est pas possible pour un espion de conserver une copie des signaux quantiques envoyés dans un processus de QKD, en raison du théorème de non-clonage quantique », expliquait il y a déjà plusieurs années Eleni Diamanti, alors au Laboratoire d’informatique de Paris 6.
Dans le cas d’Orange, la distribution de clés quantiques se fait via des photons à travers les fibres d’Orange (sur son réseau déjà déployé). Un tel dispositif avait déjà été démontré l’année dernière. La fibre relie en fait deux « serveurs » Toshiba (format rackable), un dans chaque lieu à relier avec le « réseau quantique ».
La distribution de clés quantiques passe dans des fibres « classiques »
L’opérateur nous explique que les photons peuvent voyager dans des fibres déjà exploitées pour du transfert de données, y compris en WDM (multiplexage en longueur d‘onde), sans que cela ne pose le moindre problème. Aucune interférence n’a été identifiée par l’opérateur, que ce soit sur la partie quantique ou la partie classique.
Attention toutefois, le QKD ne peut plus être utilisé si la fibre passe dans un équipement actif ; les photons perdraient immédiatement leur état quantique et donc adieu la distribution de clés. Il faut donc une fibre unique de bout en bout. Une épissure est possible, mais elle doit « être de très bonne qualité » pour laisser passer les photons, nous précise l’opérateur.


PCQ : de la cryptographie hybride, résistante aux ordinateurs quantiques
La portée est actuellement autour de 100 à 150 km, nous affirme Orange, mais il est prévu de l‘augmenter ; tout du moins c’est ce que prévoit Toshiba avec son matériel, selon l’opérateur. À l’avenir, il sera même possible de doubler la distance avec un « relai » à installer au milieu du « réseau quantique », mais un seul « relai » sera utilisable sur la ligne en fibre optique. N’espérez donc multiplier la distance comme des petits pains.
Une fois l’échange de clé réalisé, la partie quantique est terminée et on repasse sur de la cryptographie hybride. Cette dernière résiste aux attaques des ordinateurs quantiques et s’appuie aussi sur la cryptographie actuelle, qui a fait ses preuves (modulo les calculateurs quantiques) ; le meilleur des mondes en quelque sorte puisqu’il faudrait casser la cryptographie classique et quantique pour accéder aux données.
L’annonce d’Orange est donc l’unification de la QKD et de la PCQ pour protéger des données, tout en pouvant être « facilement déployée sur des réseaux de fibre existants ». La nouveauté n’est donc pas à chercher du côté technique, mais commercial avec un système « tout en un » pour les entreprises ayant de forts besoins de sécurité. Le tarif n’est précisé.
Pour de plus longues distance, la QKD passe par l’espace
Orange ne s’arrête pas en si bon chemin et prépare l’avenir : passer de la fibre au satellite. L’opérateur travaille avec Thales cette fois-ci afin de proposer une solution « souveraine ». La France (comme les États-Unis) est en retard sur la Chine, qui a déjà démontré et utilisé un tel réseau, précise Orange. Mais l’opérateur compte bien y arriver d’ici à quelques années.
En Espagne, des travaux ont débuté au début de l’année avec Thales Alenia Space (détenue à 67 % par Thales et 33 % par Leonardo) et l’opérateur de satellites Hispasat. Le 21 janvier, ils ont annoncé « le lancement de la phase de développement, fabrication, vérification et validation du prototype de QKD-GEO, le système espagnol de distribution quantique de clés depuis l’orbite géostationnaire ».
Thales Alenia Space affirmait à l’époque que la technologie disponible début 2025 excluait « toute possibilité de connexions basées sur la fibre optique pour les communications quantiques sur des distances de plusieurs centaines de kilomètres ». Orange pense de son côté pouvoir atteindre quelques centaines de kilomètres. Une chose est néanmoins sûre : les deux s’accordent sur le fait qu’une limite existe et qu’elle sera rapidement atteinte.
Selon la filiale de Thales, « le recours aux satellites pour la distribution quantique de clés permet de couvrir de grandes distances, compte tenu que l’affaiblissement du signal est moins important dans l’espace libre ».
Vers des « liaisons quantiques » entre deux continents
Une fois l’atmosphère passée, il n’y a plus vraiment de problème pour faire circuler les photons. Atteindre un satellite en orbite basse à quelques centaines de km ou un géostationnaire à plus de 36 000 km ne change pas grand-chose. Avec des satellites géostationnaires, cela permet par contre « d’établir des liaisons continues entre deux continents via un seul satellite et sans la nécessité de systèmes complexes de poursuite du signal ».
Comme avec la fibre, la distribution de clé se fait en exploitant les propriétés de l’informatique quantique, mais le chiffrement des données se fait ensuite de manière « classique », avec des algorithmes hybrides. Rendez-vous dans trois ou quatre ans pour ce genre de solution.