Les États-Unis suspendent toutes leurs opérations cyber contre la Russie
80 ans de politique étrangère

Aux États-Unis, les agences en charge de la lutte contre la cybercriminalité et contre les ingérences dans le champ informationnel ont reçu l’ordre de cesser de considérer les forces russes comme une menace.
L’agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures (CISA) et l’US Cyber Command (qui synchronise les activités militaires des États-Unis dans le cyberespace) ont reçu pour instruction de cesser de traiter les hackers russes comme une menace, et de suspendre les cyberopérations en cours contre la Russie.
Le mémo transmis à la CISA lui a donné de nouvelles priorités, relatives en particulier à la protection des systèmes domestiques et à la lutte contre les activités chinoises. Le document ne mentionne pas la Russie, rapporte the Guardian.
De même, dans son dernier discours devant un groupe de travail des Nations-Unis, la secrétaire adjointe à la cybersécurité internationale au département d’État Liesyl Franz n’a cité que la Chine et l’Iran, omettant la Russie.
La pause n’est censée durer que pendant les négociations organisées entre les États-Unis et la Russie, d’après le Washington Post. D’après de multiples experts, elle représente néanmoins une concession de taille envers l’un des adversaires cyber les plus actifs du pays.
L’Ukraine et le secteur privé exposés
L’ordre donné à l’US Cyber Command a été transmis par le Secrétaire à la défense Pete Hegseth mi-février au général Timothy Haugh, indique The Record. Il ne s’applique pas aux activités de la National Security Agency (NSA), elle aussi dirigée par Haugh.
Le soutien fourni par les forces états-uniennes à l’Ukraine dans le cyberespace fait partie des principales activités touchées par cette décision. Outre aider la défense ukrainienne, le Cyber Command y étudiait jusqu’ici la manière dont Moscou déploie ses moyens numériques.
Autre potentielle victime : le secteur privé. La Russie est un bastion de la cybercriminalité, souligne The Record. Le retrait du Cyber Command pourrait à ce titre faciliter le travail d’acteurs malveillants cherchant à espionner ou rançonner des entreprises, comme des acteurs des services publics de multiples pays.
Lors de son discours, Liesyl Franz s’est ainsi abstenue de citer le groupe russe de « rançongiciel as a service » LockBit, jusqu’ici qualifié, y compris par les États-Unis, de groupe de rançongiciel le plus prolifique du monde.
Virage à 180°
Par le passé, l’administration états-unienne a elle-même qualifié la Russie de « cyber menace mondiale persistante », et ce notamment dans l’évaluation annuelle de la menace publiée en 2024 (.pdf) par ses agences de renseignement. Ce matin, sur France Inter, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, a déclaré avoir « un peu de mal à comprendre » la décision du secrétaire à la défense Pete Hegseth, avant de préciser : « L’Europe, les pays de l’Union européenne sont constamment attaqués par la Russie. »
Cela dit, le changement de politique est cohérent avec la récente évolution des relations impulsées par Donald Trump avec la Russie, mettant fin à 80 ans de politique étrangère du pays. Ces derniers jours, cette dernière a été illustrée par le vote des États-Unis contre la résolution de l’ONU visant à tenir la Russie responsable de son invasion de l’Ukraine, puis par l’entretien brutal de Donald Trump et son vice-président J.D. Vance avec le président ukrainien Vladimir Zelensky, ce 28 février.
La suspension de toutes les activités liées à la lutte contre la désinformation et la manipulation, en particulier dans le cadre des élections, est allée dans le même sens. Mi-février, plusieurs dizaines de personnes de la CISA et du FBI travaillant sur ces questions avaient été réaffectées à de nouvelles missions, et d’autres licenciées. Le secrétaire d’État de l’Arizona Adrian Fontes (démocrate) avait alerté le Président : « cette décision réduit la sécurité des élections en Arizona à un moment où nos ennemis du monde entier utilisent des outils en ligne pour imposer leurs programmes et leurs idéologies jusque dans nos foyers », rapportait le New-York Times. Donald Trump et ses représentants indiquent de leur côté qu’en tentant de lutter contre la désinformation et la mésinformation, le gouvernement avait diminué la liberté d’expression de la population.