Assassinat de Charlie Kirk : l’inquiétante spirale de la violence et de la censure aux Etats-Unis
Ces derniers jours, l’influenceuse américaine complotiste Laura Loomer a trouvé son nouveau cheval de bataille : "détruire les aspirations professionnelles de quiconque se réjouit de la mort de Charlie Kirk", célèbre militant d’extrême droite, assassiné lors d’un meeting le 10 septembre. Depuis la semaine dernière, les Etats-Unis connaissent une vaste campagne de représailles organisée par l’extrême droite, contre tous ceux qui auraient exprimé de la joie ou un manque d’empathie, après le meurtre de l’influenceur. Des fonctionnaires, journalistes, ou salariés de plusieurs entreprises ont ainsi perdu leur travail, tandis qu’un site recensant des milliers de posts défavorables à Charlie Kirk et des données personnelles sur leur auteur a vu le jour.
"Les républicains font pression non seulement pour punir le meurtrier présumé, mais aussi ceux dont ils estiment que les propos ont contribué à la mort ou l’ont déshonorée", explique l’agence Associated Press. L’assassinat de Charlie Kirk lors de l’un de ses meetings à l’Université d’Utah Village, la semaine passée, a vivement agité l’Amérique. A 31 ans, cet influenceur d’extrême droite, comptabilisant des millions d’abonnés, était devenu un relais important du trumpisme parmi la jeunesse conservatrice. Il organisait notamment des débats dans les universités, où il affichait des propos ouvertement racistes, sexistes, et transphobes. Récemment, il avait suscité la polémique en affirmant que "l’avortement était l’Holocauste de notre époque".
Quelques minutes après que Charlie Kirk a été abattu en pleine foule, le département d’État des États-Unis (en charge des Affaires étrangères) avait déjà prévenu qu’il suspendrait le visa de n’importe quel étranger qui se réjouirait de la mort de l’influenceur xénophobe. Mais les trumpistes sont allés plus loin : selon un comptage de Reuters, ils sont parvenus ce week-end à faire virer pas moins d’une quinzaine de personnes - fonctionnaires, salariés, ou journalistes.
Appels aux licenciements
Parmi les personnalités publiques, on retrouve le commentateur politique de la chaîne MSNBC, Matthew Dowd, qui intervient depuis une dizaine d’années dans les télévisions américaines. Ce dernier s’est vu congédié après avoir affirmé que "les pensées haineuses [- sous-entendues de Charlie Kirk - NDLR] mènent à des paroles haineuses, qui mènent ensuite à des actes haineux". Après une cyber-campagne menée contre le chroniqueur, la présidente de la chaîne, Rebecca Kutler, a présenté ses excuses, qualifiant les propos de Matthew Dowd "d’inappropriés" et indiquant qu’il avait été renvoyé, explique le New York Times.
La maison d’édition DC Comics a aussi suspendu la série "Red Hood", après que son autrice Gretchen Felker-Martin, transgenre, a ironisé sur le décès du militant connu pour ses positions transphobes, rapporte la chaîne CNN. Un vice-doyen de l’université Middle Tennessee State et deux professeurs des universités Austin Peay State et Cumberland ont également été renvoyés après une campagne de la sénatrice républicaine Marsha Blackburn à leur égard. L’un d’eux avait déclaré que Charlie Kirk "avait provoqué son propre destin".
De nombreux salariés anonymes font aussi partis de la liste, allant de travailleurs de la restauration jusqu’aux transports. Le week-end dernier, le secrétaire aux Transports Sean Duffy a ainsi indiqué "qu’American Airlines avait suspendu des pilotes qui, selon lui, célébraient l’assassinat de Kirk", indique Associated Press.
Fichage en ligne
Ces campagnes de harcèlement ont notamment été facilitées par la création du site "Expose Charlie’s Murderers" ("Dénoncer les meurtriers de Charlie", en français), qui recense des dizaines de milliers de publications sur la mort de Charlie Kirk, avec les données personnelles de leur auteur, comme leur lieu de résidence ou leur profession. En quelques jours, le site créé anonymement a reçu 30 000 contributions, et se projette comme "une plateforme permanente d’archives sur les activistes radicaux appelant à la violence, actualisée en continu". Mais la plupart des messages postés sur le site ne semblent ni provenir d’activistes ultra-radicaux, ni appeler à la violence.
L’un des premiers posts figurant sur le site est par exemple une publication de la journaliste canadienne Rachel Gilmore, qui ne s’est pourtant jamais réjouie de la mort de Charlie Kirk, et avait au contraire dit "espéré qu’il survive", terrifiée "par les représailles" que cela pourrait susciter chez ses "fans d’extrême droite". Après que son nom a circulé sur le site, elle a indiqué que sa vie était devenue "un enfer" recevant constamment des insultes et des menaces de viols de la part de supporters "MAGA". En ce début de semaine, le site était devenu inaccessible, sans que l’on sache encore pourquoi.
Une campagne de représailles à large échelle, qui tranche avec les propos d’une extrême droite cherchant à se présenter comme défenseuse "de la liberté d’expression", et accusant ses adversaires de vouloir mettre en place une "cancel culture", remarque la presse américaine.
"En février dernier, lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, le vice-président J.D. Vance avait critiqué l’administration Biden pour avoir encouragé les entreprises privées à faire taire ceux qui critiquaient la gestion de la pandémie, rappelle Associated Press. Il avait ajouté : sous la direction de Donald Trump, nous pouvons être en désaccord avec vos opinions, mais nous nous battrons pour défendre votre droit de les exprimer sur la place publique", indique l’agence de presse américaine, soulignant cette contradiction de l'exécutif.
© CHARLY TRIBALLEAU / AFP