Valeurs actuelles. Ce 13 juillet, à l’hôtel de Brienne, le président de la République a tenu son traditionnel discours aux Armées. Cette année, la classe politico-médiatique avait annoncé que le chef de l’État tiendrait le discours le plus important de son mandat, notamment pour l’avenir de l’armée française et notre architecture de défense. Que retenez-vous de cette allocution ?
Christophe Gomart. Une fois encore, le discours du président de la République était du vent. Beaucoup de paroles pour peu de décision concrètes. Un constat sur les menaces que beaucoup partagent. Un constat sur les manques capacitaires dont les chefs militaires font toujours état (espace, IA, guerre électronique, défense sol-air…).
Il est amusant de penser que le général de Villiers a démissionné un même 13 juillet, suite à un désaccord sur un budget de la défense qui baissait. Emmanuel Macron lui avait rétorqué que « c’était lui le chef ». Huit ans plus tard, il annonce une hausse même modeste du budget. Le général Pierre de Villiers avait fatalement raison. Car, c’est bien là le rôle des militaires, de planifier en envisageant l’avenir. Emmanuel Macron devait encore croire aux Dividendes de la paix, qu’il a dénoncé ce soir.
« Pour être libre, il faut être craint. Pour être craint, il faut être puissant ! » La tonalité martiale du discours du chef de l’État peut se résumer en cette phrase. Un discours assez offensif d’ailleurs, invitant à mobiliser l’ensemble des services de l’État pour la défense de la Nation. Partagez-vous son analyse ?
Compte tenu de cette stratégie de communication – Interview du Directeur général à la Sécurité extérieure sur LCI, conférence de presse du chef d’État-major des Armées, annonce de Sébastien Lecornu de la relance de la production de missiles SCALP et ce soir le discours du président – on s’attendait à beaucoup et on a eu très peu. On savait qu’il y aurait beaucoup de mots et très peu d’action. Je note qu’enfin qu’Emmanuel Macron s’est rendu compte que pour être respecté, il faut être puissant. Et pour être puissant, il faut être fort militairement.
Le choix fait ce soir semble nettement insuffisant. Nous sommes loin des 100 milliards d’euros annuels prônés par Sébastien Lecornu. Sur l’aspect diplomatique, encore une fois, il se targue de mots. En Algérie, Boualem Sansal et Christophe Gleizes ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Et en Iran, trois de nos ressortissants sont actuellement toujours retenus en otage.
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La remontée en puissance capacitaire de nos armées est-elle à la hauteur des défis contemporains ?
La Loi de programmation militaire (LPM) actuelle permet le maintien à niveau opérationnel de nos armées. Mais elle ne prend pas en compte les menaces actuelles qui pèsent sur notre pays : Russie, Chine, Turquie, Iran, terrorisme islamiste… .Cette LPM n’envisageait qu’une armée dimensionnée pour des interventions extérieures et non pour mener une guerre d’attrition ou guerre de haute intensité.
Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, évoquait le volume financier de 100 milliards d’€ par an comme poids de forme pour nos armées. C’est indispensable si la France veut continuer à disposer d’une armée digne de ce nom et capable de peser dans le concert des nations et en particulier en Europe. L’Allemagne, qui n’a pas de dettes, va dépenser énormément pour ses armées. Même si elle va mettre du temps à remettre sa défense à niveau (5 à 10 ans), ce pays veut devenir la première puissance militaire en Europe. Ainsi, l’Allemagne, pourra devenir la première force militaire d’Europe, malheureusement en partenariat étroit avec les Etats-Unis, nous enfermant dans la spirale de la dépendance.
Les 5 % du PIB annoncés lors du dernier sommet de l’OTAN sont un vœu pieux. La France ne dépense même pas 2 % de son PIB pour sa défense. Comment fait-on pour arriver à 5 % en 2030 ? Selon moi, la seule façon d’y arriver est d’entamer une véritable réforme de l’État afin de retrouver des capacités financières qui nous permettront d’investir plus dans notre défense et donc dans notre souveraineté. J’aime bien cette phrase du chancelier Bismarck qui rappelle que « la diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments ». Si l’on veut peser dans les affaires du monde, il faut être puissant. Il est donc impératif que la France réinvestisse dans ses armées.
En écoutant le discours du président de la République, en ce 13 juillet, nous ne sommes pas prêts d’y arriver. Car ne nous leurrons pas, ce n’est pas en augmentant la LPM (Loi de programmation militaire) de 6,5 milliards d’euros sur deux ans, que nous arriverons à 5 % du PIB. Une fois encore, Emmanuel Macron s’est fait plaisir en jouant avec les mots et en dénonçant des réalités que chacun connaît sur la dangerosité du monde.
Au terme de ce discours du chef de l’État, quelle place la France ambitionne-t-elle réellement et objectivement dans le concert des nations aujourd’hui ?
La France, puissance moyenne, est un grand pays. Malheureusement, sous l’action de l’actuel président pour lequel « il n’y a pas une culture française », elle tend à s’effacer : le départ de l’Afrique après la rupture des accords de défense, une dette colossale qui s’alourdit inexorablement, un abandon progressif de pans de notre souveraineté comme en témoigne encore l’accord sur la Nouvelle-Calédonie en créant un État au sein même de la République, une repentance permanente comme la colonisation algérienne qualifiée de « crime contre l’humanité ».
Pourtant la France dispose d’atouts considérables. Elle est présente en Amérique, en Océanie, en Afrique grâce à ses territoires d’Outre-mer. Elle dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE). Son armée est opérationnelle et peut agir seule et de manière autonome. La dissuasion nucléaire est un de ses atouts qui lui permet de dissuader tout agresseur, même pour être véritablement dissuasif, il faut renforcer les capacités conventionnelles de son armée.
Souhaite-t-on une France dissoute dans un « fédéralisme » européen ? Ou souhaite-t-on une France puissante, souveraine et respectée capable d’influer sur la marche du monde ? Personnellement, je choisis la deuxième solution.
Elle fait partie des 5 membres permanents du conseil de sécurité des Nations Unies. Elle reste la 5ème puissance économique mondiale. La France doit ambitionner selon moi d’avoir une stratégie et voir loin. La question que notre pays doit se poser est : Quelle France souhaite-t-on en 2050 et en 2100 ? Cela permettra de définir nos objectifs à atteindre et ainsi définir une stratégie pour y arriver. Souhaite-t-on une France dissoute dans un « fédéralisme » européen ? Ou souhaite-t-on une France puissante, souveraine et respectée capable d’influer sur la marche du monde ? Personnellement, je choisis la deuxième solution. Et je suis engagé en politique pour cela.
Ne nous leurrons pas, ce n’est pas en augmentant la LPM de 6,5 milliards d’euros sur deux ans, que nous arriverons à 5 % du PIB.
Le 14-Juillet, fête populaire et militaire, est-il encore porteur d’une certaine grandeur française ?
Bien sûr ! L’engouement populaire est réel. Il suffit de voir le nombre de personnes aux abords des Champs Élysées, le nombre de téléspectateurs, le nombre de cérémonies patriotiques qui ont lieu ce jour-là. Les Français peuvent être fiers de leur armée. Elle est entraînée et aguerrie, prête à l’emploi et en capacité d’agir de manière autonome sur la seule décision su chef des armées qu’est le président de la République.
Malheureusement, elle ne dispose pas de suffisamment chars, de canons, d’avions de chasse ou de frégates. Elle manque aussi considérablement de munitions ; obus, missiles… « Une armée est la véritable noblesse d’un pays », nous rappelle Napoléon. Le 14 juillet est l’occasion pour les Français de soutenir publiquement leur armée et leurs soldats.
Comment la symbolique et la singularité toute française du défilé du 14-Juillet garde-t-elle tout son sens, dans un monde bouleversé par les crises internationales ?
Le 14 juillet est vraiment symbolique. L’armée se présente à la Nation sous son meilleur jour en uniformes de parade avec des engins repeints et flamboyants au soleil. Au commandement « Présentez armes ! » du chef, les soldats présentent leurs armes à la Nation dont ils sont les représentants en armes prêts à donner leur vie pour elle. Comme le disait Alexandre Sanguinetti ministre des anciens combattants de Georges Pompidou : « Le guerrier ne fait que porter l’épée pour le compte des autres. C’est un seigneur, puisqu’il accepte encore de mourir pour des fautes qui ne sont pas les siennes, en portant le poids du péché et de l’honneur des autres. »
C’est toute la symbolique du 14 juillet, les soldats fiers de ce qu’ils sont, se présentent à la Nation sous leur meilleur jour. C’est un dialogue silencieux dont les uns disent « Voyez, nous sommes prêts à risquer notre vie pour vous défendre ». Quand ceux qui les regardent répondent : « Nous vous remercions de ce que vous êtes prêts à faire pour nous. »
L’armée est-elle le dernier refuge du mérite et de l’effort ?
L’armée est sans aucun doute une institution à part tant elle prépare, forme et entraîne des hommes et des femmes à éventuellement aller jusqu’au sacrifice ultime de leur vie. En effet, comment faire en sorte que des hommes ou des femmes soient prêts à donner leur vie pour préserver ce bien supérieur qu’est la patrie ?
Il est impératif de leur avoir appris des valeurs telles que la discipline, la hiérarchie, le sens du devoir, du sacrifice, du désintéressement, du bien commun, mais aussi de l’honneur, et la valeur de l’exemplarité. Les inscriptions honneur et patrie sur les drapeaux ou étendards de nos régiments comme les mots honneur, patrie, valeur et discipline inscrits sur la passerelle de nos bâtiments de guerre ne sont pas que des mots. Ce sont des principes directeurs qui guident l’action de nos soldats, aviateurs et marins. Pour cela développer le sens de l’effort et du mérite est crucial.
Ces valeurs ne sont pas propres aux armées. Elles y sont éminemment présentes mais également dans la plupart des branches de la fonction publique. Je pense aux infirmiers en hôpital, aux policiers , aux sapeurs pompiers, aux professeurs ou en encore dans le sport. Mes années au sein d’une entreprise privée m’ont permis de voir que le mérite et l’effort étaient aussi très liés à la vie de l’entreprise si celle-ci voulait se développer, innover et créer de la richesse. L’objectif n’est évidemment pas le même, mais ces deux valeurs sont nettement mises en avant.
L’armée est sans aucun doute une institution à part tant elle prépare, forme et entraîne des hommes et des femmes à éventuellement aller jusqu’au sacrifice ultime de leur vie.
La vocation militaire peut-elle renaître chez une jeunesse en quête de repères ?
La vocation militaire, fort heureusement, existe toujours. Nombreux sont les jeunes, garçons et filles, qui viennent me voir ou lorsqu’ils me croisent me demandent comment on peut devenir militaire ou rentrer dans un service de renseignement. Nous avons encore une belle jeunesse à la recherche de sens. Cette jeunesse est à la recherche d’un idéal. Cet idéal peut être de se mettre au service de la France en endossant l’uniforme.
Selon une étude récente du CNRS, environ 57 % des jeunes de 18 à 30 ans se déclareraient prêts à s’engager dans l’armée en cas de conflit pour défendre leur pays. Par ailleurs, 62 % souhaitent le rétablissement d’un service militaire. Personnellement, je soutiens la création d’un service militaire volontaire digne de ce nom en fonction du besoin des armées. En contrepartie, ces jeunes qui passeraient une année sous les drapeaux pourraient bénéficier du permis de conduire, de bourses, d’accès facilités à certains concours, de priorités au logement, du statut de vétérans et des avantages associés.
Comment la mémoire de vos frères d’armes tombés au combat façonne-t-elle votre engagement politique au Parlement européen ?
Lorsque que début mars, le vice-président américain JD Vance avait affirmé que pour l’Ukraine, conclure un accord économique avec les États-Unis serait « une meilleure garantie de sécurité que 20.000 soldats d’un pays quelconque qui n’a pas mené de guerre depuis 30 ou 40 ans ». La France était visée.
J’ai pris la parole au sein du Parlement européen à Bruxelles en disant ceci : « Depuis 40 ans, plus de 600 soldats français ont été tués, de très nombreux ont été blessés dont beaucoup connaissent des troubles de stress post-traumatiques, en opérations extérieures en ex-Yougoslavie, guerre du Golfe, Afghanistan, Liban, Tchad, Mali, Irak, Syrie, Sahel, …, lors d’opérations, de l’ONU, de l’OTAN, en coalition avec les Américains ou lors d’opérations nationales. Certains d’entre eux sont tombés alors qu’ils étaient sous mes ordres. Je pense en particulier au premier maître Loïc Lepage qui est mort il y a exactement 19 ans en Afghanistan (nous étions en effet le 4 mars jour anniversaire du combat au cours duquel il a été tué) ». Les applaudissements furent nombreux et nourris. Les commentaires positifs en sortant de notre réunion le furent également.
Pour répondre à votre question, bien sûr mon passé militaire façonne mon action comme député français au sein du Parlement européen. Je n’ai de cesse que de défendre les intérêts de la France et des Français. Connaissant bien le monde de la défense et de la sécurité, j’apporte mon, expérience et mes connaissances.
C’est ainsi que le 2 juillet dernier j’ai organisé avec mon équipe et un député portugais une conférence sur l’architecture de défense de l’Europe intitulée : « Des mots à l’action : donner la priorité à la défense de l’Europe. » Il s’agissait de réfléchir à une capacité entre européens de se défendre seuls compte tenu d’un désengagement américain probable et d’un article 5 du traité de l’OTAN qui pourrait ne pas être effectif. Preuve de l’importance d’un tel séminaire qui a réuni plus de 250 personnes, son introduction par Roberta Metsola, présidente du Parlement et sa conclusion par Andrius Kubilius commissaire à la défense et à l’espace.
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