Datacenters et consommation d'eau - Faut-il supprimer vos emails ?
J’sais pas si vous avez vu ça, mais le gouvernement britannique conseille à ses citoyens de supprimer leurs emails et leurs photos pour économiser l’eau. Oui, oui vous avez bien lu… Faut vider sa boîte mail pour éviter la sécheresse !
Cette recommandation révèle surtout une incompréhension totale de ce qui se passe réellement dans les datacenters. Parce que derrière ces conseils se cache une confusion énorme sur ce qu’on appelle la “consommation” d’eau des centres de données. Allez, je vous spoile tout de suite : Vos emails et vos photos ne consomment pratiquement rien une fois stockés.
Le vrai problème, c’est qu’on mélange tout. Car quand on parle de consommation d’eau des datacenters, on fait l’amalgame entre l’eau qui disparaît réellement et celle qui est simplement réchauffée puis rejetée (+5° à +10°). Selon les discussions techniques que j’ai pu lire sur LaFibre.info, la nuance est pourtant capitale !
Prenons Microsoft aux Pays-Bas. Ils ont consommé 84 millions de litres d’eau en 2021, soit 4 à 7 fois plus que prévu. C’est un chiffre impressionnant, mais qu’est-ce qui se passe concrètement avec cette eau ?
Et bien, Jamy, dans un système de refroidissement classique par évaporation, l’eau est littéralement “perdue”. C’est à dire qu’elle s’évapore dans l’atmosphère comme les jours fériés en France. Mais avec le refroidissement adiabatique, utilisé par Microsoft pour ses data centers, seule une petite partie s’évapore. L’essentiel de l’eau traverse le système, se réchauffe de quelques degrés, puis est rejetée. Elle n’est donc pas “consommée” au sens strict, mais juste réchauffée.
Le problème devient plus complexe avec le traitement de l’eau car pour éviter le calcaire et les bactéries, les datacenters utilisent des systèmes d’osmose inverse. Et là, aïe aïe aïe, c’est du gaspillage pur car pour 1 litre d’eau purifiée, il y aurait 2 ou 3 litres qui partent dans les égouts avec des tas d’impuretés concentrées. Sans oublier les produits chimiques pour la désinfection.
Et bien sûr, maintenant, l’IA complique tout car comme vous le savez, chaque session de discussion avec ChatGPT (5 à 50 messages) consomme l’équivalent dans un data center d’une bouteille de 500ml. Et une image générée par IA ? Jusqu’à 5 litres d’eau, ce qui reste est moins que votre chasse d’eau mais quand même c’est énorme. Et ces chiffres explosent avec l’usage massif de ces outils.
Cocorico, Mistral AI s’en sort mieux que ses concurrents niveau efficacité environnementale, mais même optimisée, l’IA reste gourmande.
Mais contrairement aux chasseurs 🍷, il y a des bons et des mauvais datacenters. Les bons datacenters sont à 1.1L/kWh, les mauvais à 1.8L/kWh ou plus… Cela dépend simplement des technologies de refroidissement qu’ils utilisent. Un datacenter moyen, pour vous situer, c’est quasiment la même consommation d’eau qu’un terrain de golf.
Il y a par exemple, le refroidissement par immersion qui consiste à plonger les serveurs dans un bain d’huile diélectrique, comme ça pas d’évaporation, mais juste de la circulation d’huile. Peu de datacenters utilisent cette technologie car c’est assez coûteux et complexe à mettre en place. Et il existe aussi le refroidissement liquide direct qui amène l’eau au plus près des processeurs via des plaques froides. C’est plus efficace, et y’a moins de gaspillage.
Certains datacenters utilisent même l’eau de mer ou des eaux usées recyclées. D’autres récupèrent la chaleur pour chauffer des bâtiments. Bref, l’eau n’est alors plus “perdue” mais valorisée.
Et puis, il y a le free cooling utilisé quand l’air extérieur est assez froid, ce qui permet d’éviter complètement l’utilisation d’eau. Intel annonce même que ses processeurs post-2025 ne seront plus compatibles avec le refroidissement à air classique (les clims), donc ça va dans le bon sens.
Google pour ses datacenters utilise de l’eau de mer en Finlande, du free cooling, du recyclage d’eaux usées et valorise la chaleur.
OVH quant à eux sont en refroidissement liquide direct avec un système en boucle fermée et ils récupèrent aussi la chaleur. Chez O2Switch, c’est free cooling, c’est à dire l’utilisation du froid extérieur pour refroidir leurs infrastructures (L’Auvergne baby !) et ils ventilent et régulent au plus juste la température de leurs salles. Chez Infomaniak, pas de clim mais du free cooling, donc très peu d’eau consommée également.
Chez Microsoft, c’est du refroidissement adiabatique mais depuis 2024, ils sont dans certains datacenters en boucle fermée avec zéro évaporation. Quant à AWS, ce sont les vilains petits canards puisqu’en gros, quand il fait froid, ils ouvrent les fenêtres et quand il fait chaud, ils font tourner des clims à évaporation… Mais visiblement, ils recyclent l’eau et se sont donnés jusqu’à 2030 pour être “water positive”, c’est à dire rendre plus d’eau qu’il n’en consomme. C’est pas magique, c’est de la compensation financière dans des projets de rechargement de nappes phréatiques ou de purification d’eau polluée.
Au global, même si tous ces acteurs mettent le paquet sur la préservation de l’eau, Google, notamment sur ses sites en Iowa et Oregon est le plus gourmand et sa consommation d’eau pèse lourd sur les ressources locales. ET ensuite, c’est Amazon et Microsoft surtout dans les zones arides des États-Unis où ils sont implantés (Virginie, Arizona…etc)
Alors, faut-il supprimer ses emails ? Franchement, sur cet usage précis, l’impact est microscopique, surtout qu’en allant supprimer ces données inertes qui ne consomme rien en énergie, vous allez re-consommer de l’eau… C’est couillon. Je ne serai pas surpris si supprimer 20 000 emails consomme plus d’eau qu’une seule requête ChatGPT ?
Le vrai défi, c’est surtout l’explosion de l’IA car d’ici 2027, l’IA consommera autant d’eau que la moitié du Royaume-Uni. C’est un changement d’échelle majeur.
La solution n’est donc pas dans la suppression de vos emails, mais dans le choix des technologies. Immersion cooling, récupération de chaleur, utilisation d’eaux non potables, refroidissement gratuit… Les alternatives existent. Il faut juste arrêter de faire de la com’ facile sur le dos des utilisateurs.