Jusqu'à récemment, les relations technologiques entre Londres et Washington étaient présentées comme le nouveau modèle de coopération à l'ère de l'intelligence artificielle. Aujourd'hui, cette image se fissure. Les États-Unis ont décidé de suspendre un accord technologique très médiatisé avec le Royaume-Uni, en raison des tensions croissantes liées à l'approche britannique en matière de réglementation des contenus en ligne et des systèmes basés sur l'IA. À Washington, on croit de plus en plus que Londres non seulement ne relâche pas son emprise sur les géants technologiques américains, mais tente en réalité d'imposer sa propre vision du contenu acceptable dans l'espace numérique. La principale source de conflit réside dans la loi britannique sur la sécurité en ligne (Online Safety Act), qui confère aux autorités de larges pouvoirs pour sanctionner les entreprises technologiques diffusant des contenus jugés nuisibles ou haineux. Pour les décideurs politiques américains, le problème ne porte pas sur la protection des utilisateurs en elle-même, mais plutôt sur la flexibilité de la définition et du champ d'application de la réglementation, qui inclut des entités opérant hors du Royaume-Uni. L'Ofcom, l'autorité britannique de régulation des communications, a déjà commencé à appliquer la nouvelle réglementation en prononçant des injonctions contre de grandes entreprises de la Silicon Valley. Du point de vue américain, cela apparaît comme une tentative d'étendre sa juridiction sur l'internet mondial, même lorsque l'infrastructure et les équipes de ces entreprises sont situées de l'autre côté de l'Atlantique.
À Washington, la nouvelle réglementation s'étend désormais à l'intelligence artificielle générative (IA), suscitant des inquiétudes particulières. Les chatbots comme ChatGPT et Grok sont au cœur du débat sur la responsabilité du contenu et, aux yeux des autorités américaines, ils commencent à ressembler à de potentiels défendeurs dans les procédures administratives britanniques. La situation s'est envenimée début décembre lorsque la secrétaire d'État britannique aux Technologies, Liz Kendall, a annoncé de nouvelles restrictions concernant les chatbots, invoquant la nécessité de renforcer la législation. À ce moment-là, Washington a reconnu que la réglementation britannique empiétait sur le contrôle direct de la parole générée par algorithme. L'accord suspendu, connu sous le nom de « Tech Prosperity Deal », devait représenter 31 milliards de livres sterling et ouvrir une nouvelle ère de coopération dans les domaines de la recherche en intelligence artificielle, du commerce numérique et de l'innovation. Pour la Maison-Blanche, il s'agissait d'une occasion de renforcer les relations avec un allié européen clé. Les négociateurs américains ont alors commencé à percevoir l'accord comme un outil permettant, dans les faits, de légitimer le contrôle britannique sur les contenus diffusés par les plateformes américaines. Sur le plan diplomatique, cela soulève un problème sérieux et, sur le plan politique, incite à la prudence.
Comme si le différend sur la liberté d'expression ne suffisait pas, les relations sont encore alourdies par la taxe britannique sur les services numériques. Ce prélèvement de 2 % sur les revenus d'entreprises comme Google, Meta et Amazon était censé être temporaire, mais le gouvernement travailliste a confirmé qu'il resterait en vigueur jusqu'à ce qu'un compromis international soit trouvé. À Washington, cette mesure est perçue comme un nouvel exemple de l'exploitation des géants technologiques américains comme source stable de recettes budgétaires. Le président Donald Trump n'a pas caché son irritation, dénonçant de telles pratiques comme un traitement des États-Unis comme une réserve financière et signalant sa volonté de riposter par des droits de douane. Les décideurs politiques américains perçoivent de plus en plus le droit britannique et la réglementation numérique de l'UE comme s'inscrivant dans une même tendance. La lourde amende récemment infligée à la plateforme X dans l'Union européenne n'a fait que renforcer cette perception. À Washington, la crainte dominante est la création, sous couvert de sécurité, d'un système international de contrôle des contenus qui, à long terme, limitera l'innovation et la liberté de débat. L'approche américaine demeure fidèle aux principes du Premier Amendement, selon lesquels les propos controversés doivent susciter d'autres prises de position, et non une intervention réglementaire.
Le gouvernement britannique insiste sur le fait que le dialogue se poursuit et que les deux parties continuent de travailler à un accord qui profitera à des millions d'utilisateurs et d'entreprises. Cependant, le ton de ces déclarations contraste fortement avec l'enthousiasme d'il y a quelques mois, lorsque des investissements américains de plusieurs dizaines de milliards de dollars dans les infrastructures d'IA et les centres de données britanniques avaient été annoncés. (
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