Joli sac de nœuds
À la fin de l’hiver, le parquet de Paris a ouvert une enquête contre X pour des soupçons de manipulation de son algorithme, à des fins d’ingérence. La justice française a demandé à voir les algorithmes. Refus catégorique de X, qui accuse la France d’utiliser son enquête à des fins politiques.
C’est une affaire complexe. Le 12 janvier dernier, deux signalements ont été faits à la section de lutte contre la cybercriminalité du parquet de Paris. Le premier provenant du député Éric Bothorel, l’autre « d’un haut responsable d’une institution publique française ». Tous deux faisaient état « de l’utilisation supposée de l’algorithme de X (ex-Twitter) à des fins d’ingérence étrangère ».
Le 11 juillet, le parquet a annoncé dans un communiqué (PDF) avoir confié à la gendarmerie nationale une enquête ouverte à l’encontre de X, décision prise sur la base de « vérifications, de contributions de chercheurs français et d’éléments apportés par différentes institutions publiques ». L’enquête vise aussi bien la personne morale que les personnes physiques et porte notamment sur deux types d’infractions : l’altération du fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données et l’extraction frauduleuse de données d’un système de traitement automatisé. Le tout en bande organisée.
« Vives inquiétudes » contre « considérations politiques »
Dans un article du Monde daté du 7 février, on pouvait lire les éléments communiqués par le député Éric Bothorel au parquet de Paris. Il y exprimait ainsi de « vives inquiétudes concernant les récents changements d’algorithmes sur la plateforme (Twitter) X, ainsi que les ingérences apparentes dans sa gestion depuis son acquisition par Elon Musk ». Il dénonçait également les « interventions personnelles d’Elon Musk dans la gestion de sa plateforme », constituant « une menace pour nos démocraties ».
Le second signalement provenait d’un directeur de la cybersécurité travaillant dans la fonction publique, selon le Canard enchaîné. Il y dénonçait « une modification majeure dans l’algorithme utilisé par la plateforme X qui propose aujourd’hui énormément de contenus politiques haineux, racistes, anti-LGBT +, homophobes et qui visent donc à biaiser le débat démocratique en France ».
X, sur son réseau, a vivement réagi. Le réseau a dénoncé aujourd’hui une enquête « motivée par des considérations politiques, concernant la prétendue manipulation de l’algorithme de X et une prétendue extraction frauduleuse de données ». Sans surprise, l’entreprise « nie catégoriquement ces allégations ».
Pour le réseau, cette enquête « porte gravement atteinte au droit fondamental de X à une procédure équitable et menace le droit à la vie privée de nos utilisateurs et la liberté d’expression. M. Bothorel a accusé X de manipuler son algorithme dans un but d’ « ingérence étrangère”, une allégation totalement fausse ».
L’affaire se complique
Plusieurs éléments clochent, selon X. Le parquet a requis l’accès à l’algorithme de recommandations, dans le but d’examiner d’éventuelles modifications. Selon X, un tel accès confèrerait à la gendarmerie un accès à l’ensemble des publications de tous les utilisateurs.
La société est surtout troublée par l’idée selon laquelle ces données seraient analysées par un panel d’experts, dont ferait partie le mathématicien et chercheur au CNRS David Chavalarias. Or, ce dernier est à l’origine de la campagne HelloQuitteX, qui vise à simplifier la récupération des données de X pour les transvaser sur Bluesky et Mastodon, et aujourd’hui renommée Escape X. Le spécialiste de l’IA Maziyar Panahi, également chercheur au CNRS, est lui aussi dans la ligne de mire du réseau, pour avoir « participé avec David Chavalarias à des projets de recherche ouvertement hostiles à X ».
« L’implication de ces personnes soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’impartialité, l’équité et les motivations politiques de cette enquête, pour le moins. Une enquête dont le résultat est prédéterminé n’est pas équitable », fustige le réseau.
En outre, X est qualifié de « bande organisée, ce que l’entreprise n’apprécie guère. « Cette qualification, qui est normalement réservée aux cartels de trafiquants de drogue ou aux groupes mafieux, permet à la police française d’avoir recours à des pouvoirs d’investigations étendus, y compris le placement sur écoute des téléphones personnels des salariés français », s’insurge-t-elle.
Enfin, X ajoute ne pas connaitre les allégations précises portées contre elle, mais pense savoir que l’enquête « repose sur une application détournée du droit français, afin de servir un agenda politique et, finalement, de restreindre la liberté d’expression ». La manœuvre est qualifiée dans l’ensemble de « censure politique ». Le Monde, de son côté, évoque une « innovation juridique », le signalement d’Eric Bothorel s’appuyant sur une analyse du juriste Michel Séjean. Selon ce dernier, fausser le fonctionnement d’un algorithme de recommandation sur un réseau social revient à un piratage informatique, avec à la clé les mêmes sanctions.
En conséquence, X indique ne pas avoir donné suite aux demandes de la justice française.
Elon Musk, l’Allemagne et l’Europe
Le contexte est d’autant plus trouble qu’Elon Musk, à la tête du réseau social, a largement fait parler de lui pendant la première moitié de cette année. Outre ses actions en tant que grand responsable du DOGE et conseiller de Donald Trump à la Maison-Blanche, il s’est fait connaitre pour ses prises de position controversées, notamment en Allemagne. Il a affiché publiquement son soutien pour le parti d’extrême-droite AfD, qu’il estimait seul pouvoir « sauver l’Allemagne ».
Comme on peut souvent le lire sous les publications du député Éric Bothorel sur X, beaucoup estiment que c’est à l’Europe de se charger de ces enquêtes et contrôles. La Commission européenne enquête bel et bien sur le réseau social pour évaluer son respect du Digital Services Act.
Cependant, selon un article du Financial Times paru le 17 janvier, la Commission aurait mis en pause son enquête. Le média cite « trois fonctionnaires au fait du dossier », selon lesquels la décision ne serait prise qu’après les négociations qui s’annoncent entre l’Europe et les États-Unis, la Maison-Blanche ayant remis au 1ᵉʳ aout sa décision sur d’éventuels droits de douane de 30 % pour les produits européens.
Rappelons que la surveillance exercée par la Commission européenne sur les grandes entreprises de la tech est l’une des pierres d’achoppement entre l’Union et les États-Unis. Le DMA et le DSA sont largement dans le collimateur de la Maison-Blanche. Pour Donald Trump, les sociétés américaines ne devraient être régulées que par des lois américaines. Lois américaines qui, pour certaines, ont une portée extraterritoriale, empêchant notamment Microsoft de garantir que les données hébergées sur ses serveurs Azure ne quitteront jamais les frontières de l’Union.