Renaud Chaput : « Si nos politiques étudiaient le sujet, ils viendraient sur Mastodon »
Confiance décentralisée
Alors que le débat fait rage autour des politiques de modération des réseaux sociaux américains, le projet open source Mastodon a annoncé l’évolution prochaine de sa gouvernance. Il affiche l’ambition de s’imposer comme une alternative durable et éthique aux grandes plateformes privées, de X à Meta en passant par l’étoile montante Bluesky. Comment compte-t-il y parvenir ? Next fait le point avec Renaud Chaput, directeur technique du projet.
Mastodon a annoncé le 13 janvier dernier une évolution à venir de sa gouvernance, avec la volonté affichée de mettre le projet à l’abri de toute velléité de prise de contrôle, qu’elle soit le fait d’un individu ou de capitaux privés.
Hasard ou coïncidence, cette déclaration intervient dans un contexte de débat tendu autour de la façon dont les réseaux sociaux américains abordent les problématiques de liberté d’expression, alors même que leurs dirigeants les plus emblématiques, Elon Musk (X) et Mark Zuckerberg (Meta), jouent sans ambages la carte de la proximité idéologique avec Donald Trump.
L’occasion était donc toute trouvée d’approfondir la stratégie et les perspectives de développement de Mastodon avec Renaud Chaput qui, outre ses activités personnelles, endosse la casquette de directeur technique du projet.
>> L’équipe du projet Mastodon a procédé à une annonce importante en matière de gouvernance. Le calendrier de cette annonce est-il à rapprocher de l’actualité récente, faut-il y voir une forme de moment propice ?
Le moment actuel constitue bien sûr pour nous une opportunité importante, mais nos annonces sont indépendantes de l’actualité récente, ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons depuis longtemps. Nous savons que Mastodon a besoin de grossir, à plus forte raison quand nos concurrents, Threads ou Bluesky par exemple, s’appuient sur des sociétés qui disposent de beaucoup d’argent et d’investissements. Notre modèle à nous est basé sur des dons et du bénévolat, puisque dans notre projet open source, la plupart des contributeurs ne sont pas payés.
Or, pour avoir de l’argent, il nous faut une structure solide. Nous avons donc mené un gros travail autour de ce que doit être cette structure, de la forme que doit prendre sa gouvernance et de l’endroit où elle doit être basée. Il y a sans doute une forme de moment propice dans l’actualité, mais cette annonce arrive aussi et surtout parce que maintenant tout est prêt pour avancer. Disons que nous faisons d’une pierre deux coups !
D’un autre côté, il y a déjà eu un moment où nous avons peut-être loupé la marche. En novembre 2022 [moment du rachat de Twitter par Elon Musk, ndlr], il y a eu une grosse migration vers Mastodon. Plusieurs millions de personnes ont créé des comptes, ou plutôt essayé de créer des comptes. Nos serveurs n’étaient pas forcément très stables à l’époque, nous n’étions pas prêts à faire x20 ou 30 en trafic.
>> Si l’on se fie à ses chiffres, Bluesky semble sortir comme le grand gagnant de ces migrations
Bluesky ou Threads ont plus profité de la vague que nous, c’est certain. Notre budget annuel doit représenter à peu près le coût d’un ingénieur pour Meta, donc les choses avancent moins vite. C’est une question de moyens, mais ce sont aussi des opportunités, puisque nous sommes là sur le long terme.
« Un réseau social qui repose sur des incitations monétaires finira forcément par mal tourner »
Nous avons un désaccord fondamental sur le modèle des réseaux sociaux. De notre point de vue, un réseau social qui repose sur des incitations monétaires finira forcément par mal tourner. Il y a des investisseurs à contenter, donc il faut faire de l’argent. Pour faire de l’argent, il faut monétiser, donc mettre en place des pratiques hostiles aux utilisatrices et aux utilisateurs, que ce soit de la pub, de la vente de données, le fait de choisir les contenus que l’on veut exposer ou favoriser. Les gens qui s’engueulent par exemple font des vues, donc c’est bon pour la pub. Et on pense que la cause de tout ça réside dans le besoin de valorisation.