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Les pays de l’est de l’Union européenne appellent Bruxelles à renforcer leur défense

Huit chefs d’Etat et de gouvernement européens de la partie orientale de l’UE se sont réunis, mardi 16 décembre, dans la capitale finlandaise. Ils ont appelé Bruxelles à prendre des « mesures concrètes » pour renforcer leur capacité de surveillance et de dissuasion face à la Russie et à la Biléorussie.

© HEIKKI SAUKKOMAA / AFP

Les huit chefs d’Etat et de gouvernement européens de la partie orientale de l’UE, réunis à Helsinki, le 16 décembre 2025.
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Attentat en Australie : l’assaillant inculpé pour terrorisme et 15 chefs d’accusation de meurtre

« Les premières indications suggèrent qu’il s’agit d’une attaque terroriste inspirée par l’EI, une organisation terroriste répertoriée en Australie », a déclaré la police de Nouvelle-Galles du Sud dans un communiqué, après la pire fusillade que le pays a connue depuis des décennies.

© Flavio Brancaleone/REUTERS

Près du pavillon de Bondi Beach, devant le mémorial floral érigé en hommage aux victimes de l’attentat qui a visé une célébration de Hanoukka dimanche, à Sydney, le 16 décembre 2025.
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Gabriel Zucman, économiste : « L’idée d’une sclérose européenne face à un supposé eldorado américain ne repose pas sur grand-chose »

Davantage de loisirs, de meilleures performances de santé, plus d’égalité et moins d’émissions de carbone, le tout avec une productivité globalement comparable : les Européens peuvent être fiers de leur modèle, soutient le directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité dans une tribune au « Monde ».

© Chloe Sharrock/MYOP pour « Le Monde »

L'économiste Gabriel Zucman à l’Ecole d’économie de Paris, le 9 septembre 2025.
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Michèle Lamont, sociologue : « Pour ne pas laisser Trump imposer son récit, il faut multiplier les messages en faveur de l’inclusion »

La professeure à Harvard, spécialiste des frontières symboliques et de la justice sociale, explique dans un entretien au « Monde » que la guerre culturelle menée par la nouvelle administration a une motivation économique : affaiblir tous ceux qui font obstacle à une société tournée vers le profit.

© Yann Legendre

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Les Etats-Unis annoncent un blocus maritime contre les pétroliers sous sanctions du Venezuela

Le président américain Donald Trump a annoncé mardi un "blocus total" contre les pétroliers sous sanctions se rendant ou partant du Venezuela, renforçant la pression économique sur Caracas en pleine crise entre les deux pays. "Aujourd'hui, j'ordonne un blocus total et complet de tous les pétroliers sanctionnés entrant et sortant du Venezuela", a écrit Donald Trump sur son réseau Truth Social.

Le gouvernement du président vénézuélien Nicolas Maduro utilise le pétrole pour financer "le narcoterrorisme, la traite d'êtres humains, les meurtres et les enlèvements", a justifié Donald Trump, reprenant sa rhétorique habituelle. Dans son message, il a aussi affirmé que "le régime vénézuélien avait été désigné comme une organisation terroriste internationale" par son administration.

Caracas a répondu en qualifiant de "menace grotesque" cette annonce. "Le président des Etats-Unis tente d'imposer de manière absolument irrationnelle un prétendu blocus naval militaire au Venezuela dans le but de voler les richesses qui appartiennent à notre patrie", a rétorqué le gouvernement vénézuélien dans un communiqué.

Le durcissement de la politique américaine salué par Maria Corina Machado

L'administration Trump accuse Nicolas Maduro d'être à la tête d'un vaste réseau de narcotrafic. L'intéressé dément catégoriquement, affirmant que Washington cherche à le renverser pour s'emparer du pétrole vénézuélien, la principale ressource de son pays.

Les Etats-Unis ont déployé depuis cet été un important dispositif militaire dans les Caraïbes, et bombardé des embarcations en provenance du Venezuela au nom de la lutte contre le narcotrafic, des opérations à la légalité mise en doute par les experts. "Le Venezuela est entièrement encerclé par la plus grande armada jamais assemblée dans l'histoire de l'Amérique du Sud", a affirmé Donald Trump. Le déploiement américain "ne fera que s'accroître, et le choc qu'ils subiront sera sans précédent - jusqu'à ce qu'ils rendent aux Etats-Unis d'Amérique le pétrole, les terres et les autres actifs qu'ils nous ont précédemment volés", a ajouté le président américain, qui a toujours maintenu le flou sur la possibilité d'une intervention terrestre sur le sol vénézuélien.

Donald Trump n'a pas développé ses accusations de vols de pétrole et de terres. Dans les années 1970, le Venezuela a nationalisé son industrie pétrolière, et sous la présidence d'Hugo Chavez (1999-2013), les "majors" étrangères ont été obligées, pour rester dans le pays, d'accepter des coentreprises majoritairement détenues par la compagnie d'Etat PDVSA. La compagnie américaine Chevron, qui continue à travailler au Venezuela au bénéfice d'une dispense de sanctions, a indiqué mardi que ses opérations "continuent sans interruption et dans le plein respect des lois".

Le durcissement de la politique américaine contre Caracas a été salué par l'opposante vénézuélienne Maria Corina Machado, prix Nobel de la paix 2025, qui a même appelé ce week-end sur la chaîne américaine CBS à exercer plus de "pression" afin que "Maduro comprenne qu'il doit partir". Soumis à un embargo américain depuis 2019, le pétrole vénézuélien est écoulé sur le marché noir à des prix nettement plus bas, à destination en particulier de la Chine.

Un pétrolier saisi

La semaine dernière, les forces américaines ont saisi en mer des Caraïbes un pétrolier à destination de Cuba, le Skipper. Le navire transportait entre un et deux millions de barils de brut vénézuélien, selon les sources, pour une valeur de 50 à 100 millions de dollars. Selon Washington, le navire était sous sanctions américaines depuis 2022 pour des liens présumés avec le Corps des Gardiens de la Révolution islamique iranienne et le Hezbollah libanais. Selon la Maison-Blanche, les Etats-Unis entendent "saisir le pétrole" du Skipper, reconnaissant cependant que cela posait des questions juridiques.

L'annonce de blocus Donald Trump survient alors que les ministres américains de la Défense et des Affaires étrangères ont défendu mardi au Congrès les frappes menées contre des embarcations soupçonnées de narcotrafic dans les Caraïbes.

Depuis début septembre, le président américain a ordonné des frappes contre au moins 26 navires dans les Caraïbes ou l'est du Pacifique, tuant au moins 95 personnes, sans jamais fournir de preuve de leur implication dans le trafic de drogues. Le sujet a soulevé de vifs débats à Washington, notamment une opération datant de début septembre au cours de laquelle l'armée a tiré deux salves, la seconde achevant les deux survivants d'un bateau déjà en flammes.

© Gustavo GRANADO / AFP

Le président américain Donald Trump a annoncé mardi 16 décembre un "blocus total" contre les pétroliers sous sanctions se rendant ou partant du Venezuela.
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Donald Trump impose des restrictions d'entrée à sept nouveaux pays, ainsi qu'aux Palestiniens

Donald Trump a étendu mardi 16 décembre les interdictions d'entrée aux Etats-Unis aux ressortissants de sept pays, dont la Syrie, ainsi qu'aux Palestiniens. Le président américain a signé une proclamation "restreignant et limitant davantage l'entrée des ressortissants étrangers afin de protéger la sécurité des Etats-Unis", a indiqué la Maison-Blanche.

Les nouveaux pays concernés par cette mesure sont le Burkina Faso, le Niger, le Mali, le Soudan du Sud et la Syrie, tandis que le Laos et la Sierra Leone passent de restrictions partielles à totales. Les Palestiniens disposant de documents de voyage émis par l'Autorité palestinienne sont également visés.

Quelques exceptions

L'administration Trump avait déjà imposé des restrictions totales visant les ressortissants de douze pays et des dizaines d'autres pays se sont vus imposer des restrictions partielles. S'agissant de la Syrie, la mesure intervient quelques jours après une attaque meurtrière contre des soldats américains dans le centre de ce pays. L'administration Trump dit avoir identifié des pays où les vérifications sont "tellement insuffisantes qu'elles justifiaient une suspension totale ou partielle de l'admission des ressortissants de ces pays".

La proclamation prévoit cependant des exceptions pour les résidents permanents légaux, les titulaires de visas existants, certaines catégories de visas comme les athlètes et les diplomates, et les personnes dont "l'entrée sert les intérêts nationaux des Etats-Unis".

Une mesure "qui vise à protéger les Etats-Unis"

Depuis son retour au pouvoir en janvier, Donald Trump mène une vaste campagne contre l'immigration illégale et a considérablement durci les conditions d'entrée aux Etats-Unis et l'octroi de visas, arguant de la protection de la sécurité nationale. Ces mesures visent ainsi à interdire l'entrée sur le territoire américain aux étrangers qui "ont l'intention de menacer" les Américains, selon la Maison-Blanche. De même, pour les étrangers qui "pourraient nuire à la culture, au gouvernement, aux institutions ou aux principes fondateurs" des Etats-Unis. Le président américain s'en est récemment pris avec virulence aux Somaliens, disant qu'il "ne voulait pas d'eux chez nous".

En juin, il avait annoncé des interdictions d'entrée sur le territoire américain aux ressortissants de douze pays, principalement en Afrique et au Moyen-Orient (Afghanistan, Birmanie, Tchad, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale, Erythrée, Haïti, Iran, Libye, Somalie, Soudan, Yémen).

En revanche, le Turkménistan, pays qui figure parmi les plus reclus au monde, se voit accorder un satisfécit, la Maison-Blanche évoquant mardi des "progrès significatifs" dans cet Etat d'Asie centrale. Les ressortissants de ce pays pourront à nouveau obtenir des visas américains, mais uniquement en tant que non-immigrants. Lors de son premier mandat (2017-2021), Donald Trump s'en était pris de façon similaire à certains pays, ciblant principalement des pays musulmans.

© afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Le président américain Donald Trump le 3 décembre 2025, à Washington, aux Etats-Unis
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Donald Trump veut revoir les seuils d'exposition à la radioactivité : ce que révèle sa nouvelle lubie

Des grandes annonces de Donald Trump sur le nucléaire, le grand public a surtout retenu la possible reprise des essais militaires sur le terrain, après plusieurs décennies d’arrêt. Mais dans les executive orders du président américain, une autre mesure, historique elle aussi, commence à créer des remous. Dans un souci d’efficacité, l’administration souhaite relever les seuils maximums d’exposition à la radioactivité pour la population. Il n’en fallait pas plus pour accentuer la peur de l’atome.

Aux Etats-Unis, certains médias évoquent déjà un pic de cancers à venir ou l’arrivée, dans les supermarchés, de poêles à frire radioactives fabriquées à partir de matériaux irradiés recyclés. "Le débat mérite pourtant d’être plus nuancé, estime Dominique Greneche, docteur en physique nucléaire et membre de PNC-France (Patrimoine nucléaire et climat). Non seulement des scientifiques tout à fait respectables sont favorables à ce changement de norme. Mais le président américain a le mérite de mettre le doigt sur un problème rarement abordé : l’excès de sûreté en matière de nucléaire civil."

La réglementation sur les radiations

Aux Etats-Unis, deux idées fortes servent de pilier à la réglementation sur les radiations. La première part du principe que le risque lié aux rayonnements est directement proportionnel à la dose, et qu’il n’y a pas de seuil en dessous duquel ce risque est nul. Le second principe, qui découle du précédent, cherche à maintenir l’exposition des travailleurs et du public aussi faible que raisonnablement possible. Et c’est cette fameuse règle du As Low As Reasonnably Achievable (ALARA), qui se retrouve aujourd’hui dans le viseur de l’administration américaine.

"Concrètement, les limites de dose aux États-Unis sont de 50 millisieverts (mSv) par an pour les travailleurs du nucléaire et de 1 mSv pour le public. Le ministère de l’Énergie et la Commission de réglementation nucléaire n’ont pas encore publié leur projet, nous ne savons donc pas exactement quels seront les changements. Cependant, même si rien n’est encore officiel, les modifications envisagées pourraient augmenter les doses admissibles pour le public autour de 5 mSv par an. Il s’agirait également de supprimer ou d’affaiblir le principe de l’ALARA", détaille Emily Caffrey, physicienne certifiée en radioprotection, professeure à l’université d’Alabama-Birmingham.

Pourquoi remettre en question cette règle pleine de bon sens héritée des années 1950 ? "Il semblait prudent d’appliquer ce principe à l’époque, mais la notion de 'raisonnablement possible' a depuis lors été interprétée de manière très large, entraînant des conséquences indésirables", confie Craig Piercy, dirigeant de l’American Nuclear Society, une société savante regroupant plusieurs milliers de scientifiques. Le strict respect de cette règle entraîne par exemple des travaux de construction supplémentaires sur les sites de traitement des déchets radioactifs. Il se traduit parfois par un refus de radiothérapie pour un patient ou des décès inutiles comme lors de l’évacuation de la région de Fukushima.

"Après la catastrophe, les autorités ont décidé d’évacuer 78 200 personnes vivant dans des zones définies en fonction de ces limites très basses. Or plusieurs études ont attribué ensuite entre 1 600 et 2 200 décès à cette opération (morts de personnes âgées faute de soin, décès dans les transports, suicides…). Dès lors, il faut s’interroger sur le bilan sanitaire global de type de gestion post-accidentelle basé sur les normes trop restrictives", détaille Dominique Greneche.

Des marges confortables

D’autant qu’un rapport récent confirme qu’en matière de radioactivité, il existe une marge importante de sécurité permettant de relever les seuils d’exposition sans mettre la population en danger. Selon ce document, rédigé par les scientifiques du laboratoire national de l’Idaho, les études épidémiologiques n’ont jamais réussi à démontrer des effets statistiquement significatifs sur la santé à des doses inférieures à 100 mSv. Conclusion des experts : pour le grand public, "la limite actuelle de 1 mSv par an semble trop restrictive. Une révision à 5 mSv par an pour le grand public permettrait de maintenir une marge de sécurité substantielle tout en en permettant une mise en œuvre plus rentable des technologies nucléaires bénéfiques pour les secteurs de l’énergie, de la santé et de l’industrie".

Craig Piercy acquiesce : "Oui, les rayonnements causent la mort à fortes doses. Ils provoquent le cancer de manière relativement linéaire sur le plan statistique. Mais à environ 50 mSv par an, le signal épidémiologique des effets néfastes sur la santé disparaît au milieu d’autres facteurs (alimentation, forme physique…). Sans preuve directe chez les populations humaines, les scientifiques ne peuvent que théoriser sur les effets de l’exposition aux rayonnements à ces niveaux proches du fond".

Mais comment rassurer la population sur un sujet aussi sensible ? "La question de savoir si ce changement de norme est acceptable relève de la politique et de valeurs comme la tolérance au risque. Elle ne peut être tranchée par une simple réponse scientifique. Bien que je ne qualifierais pas personnellement ce changement potentiel de dangereux, il comporte des implications méritant d’être débattues", souligne Emily Caffrey.

Les effets économiques d’une telle décision, en revanche, sont parfaitement clairs. Par exemple, les normes drastiques augmentent considérablement les coûts pour la filière de retraitement des déchets. Elles réduisent aussi les perspectives de recyclage. "C’est vrai pour les Etats-Unis, mais aussi pour la France, estime Dominique Greneche. Nous avons chez nous une règle spécifique, un seuil de radioactivité en dessous duquel les déchets issus d’une installation nucléaire ne peuvent être gérés comme des matériaux conventionnels. Nous sommes le seul pays au monde à nous payer le luxe d’un tel fardeau réglementaire". Même l’ancien directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Jacques Repussard, s’en inquiète dans une interview donnée à la Société française d’énergie nucléaire (Sfen). "Ce mécanisme comporte deux inconvénients. Le premier : c’est un système luxueux. Tout ce qui sort de la zone contrôlée est réputé radioactif, même s’il n’y a pas du tout de contamination. Mais l’inconvénient le plus sérieux est que cela conduit, paradoxalement, à fausser la représentation qu’a le public des déchets radioactifs. Il peut en effet légitimement penser que si l’on prend tant de précautions, c’est que ceux-ci sont très dangereux dès le premier becquerel… Ce qui est évidemment faux".

"A force d’empiler des normes, on atteint une limite difficile à franchir en matière de sûreté ; c’est comme si on avait mis en place un nœud coulant", prévient Dominique Greneche. La France devrait donc mener elle aussi son introspection ? Le scientifique en est persuadé. "Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Donald Trump a sans doute raison de mettre un coup de pied dans la fourmilière."

© CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Donald Trump, à la Maison-Blanche, mercredi 23 avril 2025.
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Jusqu’où la Russie de Vladimir Poutine est-elle allée dans l’IA militaire ?

Depuis quelques mois, les soldats ukrainiens sur le front observent un comportement nouveau des drones Shahed. Ces engins, utilisés en quantité par les Russes pour viser des cibles situées derrière les lignes de front, réalisent des manœuvres pour échapper aux drones intercepteurs ukrainiens. "Les Russes ont installé des caméras à l’arrière des Shahed, et grâce à ça, ils ont appris à nous éviter", indique Hadrien Canter. Pour ce Français, fondateur de l’entreprise Alta Ares, spécialisée dans le développement d’IA de défense pour les drones, il n’y a pas de doute possible. "Ces Shahed font des manœuvres et du ciblage qu’ils ne pourraient pas faire sans intelligence artificielle. Heureusement, nous arrivons toujours à les intercepter, même si c’est plus dur", raconte celui qui était encore il y a peu en Ukraine.

L’intelligence artificielle est de plus en plus présente en Ukraine, avec une "robotisation progressive du champ de bataille", comme le résume Hadrien Canter. Très tôt, l’armée de Volodymyr Zelensky a mis en place des outils pour piloter des essaims de drones, faire de la navigation autonome, et analyser des informations récoltées sur le champ de bataille. La coopération entre les forces ukrainiennes et le secteur privé, aussi bien local qu'international, a été documentée en Europe. Du côté de l’armée russe, "l’IA est largement employée par les pilotes, et par les opérateurs de drones", a récemment déclaré à la presse russe l’ancien colonel et observateur militaire Anatoly Matviychuk. L’IA est "également intégrée dans des systèmes de raisonnement logique, ce qui aide à la prise de décision sur le champ de bataille".

Il est cependant plus difficile de cerner avec précision les avancées russes dans le domaine. "L’accès à l’information est compliqué, déjà à cause du secret de l’armée, mais aussi parce qu’il y a beaucoup de propagande étatique", explique Anna Nadibaidze, chercheuse au centre des études militaires de l’université du Danemark du Sud, spécialiste des applications militaires de l’intelligence artificielle. Outre les déclarations politiques invérifiables qui peuvent exagérer les capacités réelles, les questions de performance en IA sur le terrain militaire sont considérées en Russie comme un symbole de pouvoir sur la scène internationale, ce qui alimente la désinformation. Un fait demeure certain : alors que la guerre s’éternise, la maîtrise de cette nouvelle technologie est une question de plus en plus importante pour Moscou.

Une vieille ambition

Les ambitions russes dans le secteur de l’IA militaire ne datent pas d’hier. Dès 2017, Vladimir Poutine avait désigné l’intelligence artificielle comme un secteur d’importance critique, allant jusqu’à déclarer que celui qui maîtriserait cette technologie "maîtriserait le monde". Le président avait notamment dévoilé à ce moment-là une stratégie nationale pour faire de la Russie la puissance majeure de l’IA, rappelle Yannick Harrel, chercheur en cyberstratégie et expert du monde russe. "Dès le départ, le plan avait prévu des milliards de roubles d’investissement, soit près de 400 millions de dollars." Une somme qui peut aujourd’hui sembler dérisoire à l’échelle des Etats-Unis, mais qui était conséquente en Russie, à une époque où le coût du matériel et de l’énergie était bien moindre.

La Russie dispose alors de nombreux avantages dans la course à l’IA. "Il y a toujours eu une excellente formation en mathématiques là-bas", indique Yannick Harrel, ce qui a permis de former de très bons ingénieurs. Preuve de cette excellence, lors des Olympiades scientifiques, ces compétitions mondiales rassemblant les meilleurs cerveaux, les chercheurs russes arrivent régulièrement sur le podium, comme de nombreux compétiteurs des pays de l’ex-URSS. "Les chercheurs soviétiques avaient posé les bases de modélisations très avancées, notamment en mathématiques fondamentales et avec les premiers supercalculateurs", reprend Yannick Harrel. Les universités russes ont ainsi profité de ces savoirs.

Si le plan concerne au début l’IA civile, "il est prévu d’intégrer la technologie dans les secteurs stratégiques — et cela inclut évidemment le militaire", pointe le chercheur. Il est également écrit que le secteur militaro-industriel doit contribuer à supporter l’IA et les nouvelles technologies.

Ainsi, dès le début, Rostec, l’immense conglomérat rassemblant les entreprises de défense russes, dont Kalachnikov, se joint aux efforts de recherche en IA, avec le développement de logiciels et de systèmes autonomes. Le constructeur de missile Kronstadt participe également au programme, notamment pour les drones autonomes. Des instituts de recherche, dont le Advanced Research Foundation (ARF), équivalent russe de la DARPA américaine, ont pour objectif de développer les armes du futur, dont des véhicules sans pilote, des engins hypersoniques et des cyberarmes. On peut aussi compter ERA, "une sorte de mini-ville dédiée aux recherches en technologies militaires, installée en 2018 dans le sud de la Russie, près de Sotchi", ajoute Anna Nadibaidze.

A ces programmes pilotés par l’Etat russe s’ajoutent les efforts venant du secteur privé, menés par Sberbank, plus grande banque russe et investisseur massif dans les nouvelles technologies, et Yandex, équivalent russe de Google. Les deux groupes travaillent depuis le début des années 2010 sur les technologies de machine learning et de réseaux neuronaux, et bénéficient alors de partenariats technologiques prestigieux. Sberbank et Microsoft lancent en 2019 un programme de recherche conjoint en IA et en robotique et Yandex, en partenariat avec l’université de Tel-Aviv, crée un centre de recherche dédié à l’IA en 2018. L’entreprise fait même rouler, dès 2019, ses taxis autonomes dans les rues de Tel-Aviv.

La guerre en Ukraine, un frein majeur pour l’IA civile…

L’année 2022 marque un tournant dans le développement de l’IA russe. Après l’invasion de l’Ukraine, le pays se voit frappé de nombreux embargos. La collaboration scientifique s’arrête brutalement et les entreprises occidentales ont interdiction de vendre leurs puces et certains logiciels à la Russie. Or, le retard que le pays accuse dans ce domaine est criant : alors que les puces les plus puissantes, celles nécessaires pour entraîner les IA, sont gravées en nœud de 2nm, les fonderies russes ne prévoient de produire qu’à partir de 2030 celles en 28nm, d’après les données du Wall Street Journal.

Le pays fait également face à une pénurie de cerveaux, de nombreux chercheurs ayant quitté le pays peu après le début de la guerre. D’après les propres chiffres du ministère du Travail, d’ici 2030, la Russie manquera de plus de 400 000 experts en informatique. Les fonds viennent aussi à manquer : l’ensemble des entreprises russes d’IA n’a reçu que 30 millions de dollars d’investissement en 2025, à des années-lumière des sommes levées aux Etats-Unis, en Chine ou même en Europe.

Malgré tout, le secteur survit. Sberbank a ainsi développé GigaChat, un chatbot conversationnel concurrent de ChatGPT, sorti en avril 2023. Yandex a rendu public quelques semaines plus tard son propre agent conversationnel, YandexGPT, et propose des services de cloud pour entraîner des intelligences artificielles. L’approvisionnement en puces américaines étant impossible, la Russie s’est tournée vers le marché noir, à travers des entreprises écrans au Kazakhstan et utilise des composants et des puces chinoises.

… mais un accélérateur pour l’IA militaire

Si l’IA civile est en difficulté, les recherches en IA militaire sont, elles, plus actives que jamais. Dès septembre 2022, le ministère de la Défense lance le "Département de l’intégration de l’intelligence artificielle dans le développement des armements", dont le rôle consiste à rassembler les efforts des entreprises privées en IA et les recherches de l’armée, tout en intégrant les retours des soldats sur le terrain pour créer les armes et les outils les plus appropriés.

Des initiatives civiles par des citoyens russes ont même été lancées pour aider les forces armées. Le "Projet Archangel", l’un des plus grands groupes de volontaires civils russes, dont la mission est de former des pilotes de drones pour l’armée, a ainsi lancé le 11 décembre un appel à contribution pour entraîner des IA. Dans un message Telegram que L’Express a pu consulter, le groupe demande à ses membres de lui fournir des vidéos de drones FPV, quadricoptères ou à voilure fixe dans différentes conditions. Les participants sont appelés à filmer ces engins volant à une distance comprise entre 100 et 500 m, dans un cadre forestier, lors de certains types de manœuvres. Des vidéos filmées de nuit, dans des conditions météorologiques difficiles, ou en vision thermique seraient "particulièrement précieuses" et "chaque vidéo contribue à améliorer la précision du système", encouragent les responsables du projet.

Tous ces efforts portent leurs fruits. Les récents succès de Rubicon, l’unité d’élite de drones, sont "très probablement liés aux efforts du ministère de la Défense, ainsi qu’aux données collectées sur le terrain et aux outils IA certainement utilisés pour les analyser", estime Sam Bendett. Le chercheur, spécialiste des programmes militaires russes et auteur de nombreux rapports sur le sujet, notait dès 2023 qu’un drone "Admiral", capable de transporter deux drones FPV, était prétendument équipé d’un système de contrôle et de vision basé sur de l’IA. Toujours en 2023, la presse russe se vantait du lancement des munitions autonomes Lancet-3, qui utilisaient des réseaux neuronaux pour analyser les images enregistrées en vol afin de détecter les cibles et de réaliser des frappes plus précises.

Plus récemment, un nouveau type de drone a été identifié par les troupes ukrainiennes, le V2U. Bien que l’armée russe n’ait pas officiellement reconnu le drone comme faisant partie de son arsenal, ce dernier "volerait en essaims et aurait des capacités d’intelligence plus développées que les autres drones", ajoute Sam Bendett. Des efforts sont également faits au niveau des drones terrestres. Un des exemples notables est le projet de véhicule autonome Marker, potentiellement capable de traiter en temps réel du langage naturel et de naviguer de manière indépendante dans des zones de combat. Bien que des tests aient été conduits en mars 2023 dans le Donbass, "il n’est pas sûr" que le véhicule soit prêt pour une mise en service, notait Sam Bendett dans un rapport.

Si la progression de Moscou en matière d’équipement se base toujours sur des composants étrangers, le pays brille dans d'autres catégories. "Les Russes ont toujours mis en avant leurs talents et leurs capacités à développer des logiciels plutôt que leur capacité à déployer du matériel, domaine dans lequel la Chine et l’Occident ont jusqu’ici eu beaucoup plus de succès", rappelle Sam Bendett. Grâce aux données qu’ils récupèrent sur le champ de bataille, les ingénieurs militaires russes ont une mine d’or à leur disposition. Les forces de Poutine sont sans doute parmi les mieux préparées à la guerre à l’âge de l’intelligence artificielle, confirment plusieurs experts interrogés. Leur capacité à viser de manière de plus en plus précise des troupes ukrainiennes en est un exemple terrible.

Le retard de l’armée russe dans les équipements robotiques est de plus atténué par l’aide de la Chine. "Au début de l’année 2024, les armées russe et chinoise ont conclu des accords sur l’IA militaire, avec notamment un échange de savoir", explique Sam Bendett. La Chine, qui lorgne sur Taïwan et a déjà menacé d’une opération militaire, a en effet beaucoup de leçons à tirer des opérations russes en Ukraine, "en particulier pour l’analyse de grandes quantités de données provenant du champ de bataille et pour le pilotage de drones en essaim", note le chercheur. Les avancées russes en IA militaire risquent de se décliner demain sur d’autres champs de bataille.

© afp.com/Maxime POPOV

Photo prise lors d'une visite guidée avec l'armée russe montrant le général russe Igor Konachenkov qui présente à la presse des drones artisanaux utilisés selon lui par les rebelles pour lancer des attaques sur la base militaire de russe de Hmeimim, le 26 septembre 2019.
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L’Asie, centre de gravité mondial du charbon

La consommation mondiale de ce combustible devrait commencer à décliner d’ici à la fin de la décennie, selon l’Agence internationale de l’énergie, malgré la demande toujours très élevée de la Chine, de l’Inde et de l’Indonésie.

© Aly Song/REUTERS

Centrale à charbon, à Shanghaï, en Chine, en octobre 2021.
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EN DIRECT, guerre en Ukraine : le point sur la situation

Le porte-parole du Kremlin a réaffirmé que la Russie souhaitait un règlement durable du conflit en Ukraine et que la position de Moscou sur ce dossier demeurait « claire et cohérente ».

© Alexander Kazakov / AP

Le conseiller pour la politique étrangère russe, Yuri Ushakov, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, et le chef de la République du Tatarstan, Rustam Minnikhanov, pendant des discussions au Turkmenistan, le 12 décembre 2025.
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Venezuela vs. États-Unis : un blocus américain sur les pétroliers sous sanctions

"Une menace extravagante ayant pour objet de voler le pétrole du pays" : c'est ainsi qu'a répondu Caracas à l'annonce d'un blocus américain sur les pétroliers sous sanctions au Venezuela. "Une manière de mettre la pression sur l'économie vénézuélienne qui dépend presque exclusivement de son pétrole", estime la correspondante de France 24 au Venezuela, Alice Campaignolle.

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Nick Reiner inculpé à Los Angeles pour le meurtre de ses parents, Rob Reiner et Michele Singer

Arrêté pour les meurtres de son père, le cinéaste américain Rob Reiner, et de sa mère Michele Singer, Nick Reiner a été inculpé de "deux chefs de meurtre avec la circonstance aggravante que les meurtres sont multiples", a annoncé le procureur de Los Angeles. Il risque la peine de mort s'il est reconnu coupable.

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« Les survols de drones testent notre capacité de défense », selon le chef du renseignement et de la sécurité de la défense

Malgré une vigilance accrue de ses services, le général Aymeric Bonnemaison, directeur de la DRSD, reconnaît, dans un entretien au « Monde », la difficulté à identifier les auteurs d’incidents suspects. Depuis septembre, les survols d’infrastructures militaires se multiplient.

© STEPHANE LAVOUÉ

Aymeric Bonnemaison, directeur du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), au fort de Vanves, à Malakoff (Hauts-de-Seine), le 8 octobre 2025.
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