Philippines : le supertyphon Fung-Wong s’abat sur le pays, au moins deux personnes sont mortes

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C’est une colonne en bronze, patinée par les siècles, érigée dans l’ancienne cour d’honneur de l’arsenal de Brest. Peu de Finistériens la connaissent – et pour cause, elle est située dans une enceinte militaire. Et encore moins d’habitants savent que ce fût de 7 mètres de long, surmonté d’un coq, est en réalité… un canon algérien. Surnommée Baba Merzoug ("Père chanceux"), cette couleuvrine géante, l’une des plus grandes jamais fabriquées, a une histoire romanesque. Il y est question de sultan ottoman, de curé supplicié et de batailles épiques. Mais elle est surtout un témoin privilégié de la tumultueuse relation entre la France et l’Algérie. Et pourrait, à ce titre, jouer un rôle un jour prochain.
Et dire que Baba Merzoug était tombé dans les oubliettes de l’Histoire. Il en est ressorti il y a une quinzaine d’années, sous l’impulsion d’une poignée d’Algériens, qui découvrent alors son existence. Émus par son destin funeste, ils en demandent la restitution. Symbole de la puissance de l’Algérie précoloniale, sa place est, selon eux, à Alger, où les Français l’ont ravi lors de la conquête de la ville, en 1830. Leur requête a été entendue : Baba Merzoug figure aujourd’hui, au même titre que l’épée de l’émir Abdelkader, sur la liste des biens réclamés par l’État algérien, transmise à Paris en mai 2024 et restée, depuis, lettre morte. Leur credo ? Et si cet engin de mort servait aujourd’hui à rapprocher nos deux pays ? Et si la France, dans un geste d’apaisement, renvoyait de l’autre côté de la Méditerranée ce qui pourrait devenir, disent-ils, un "canon de la paix" ?
L’idée pourrait faire sourire, tant les rapports entre Paris et Alger sont proches du froid polaire. Dégradée en 2024 après les arrestations de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleizes, et après la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, la relation s’est encore détériorée en juillet dernier lorsqu’un mandat d’arrêt international a été émis à l’encontre d’un diplomate algérien en poste à Paris, que la justice soupçonne d’avoir participé à l’enlèvement d’un opposant, Amor DZ. L’affaire, sérieuse, a entraîné des expulsions croisées d’agents consulaires et le rappel de l’ambassadeur français. Plus récemment, l’adoption à l’Assemblée nationale d’une résolution, portée par le RN, dénonçant l’accord franco-algérien de 1968, n’a pas arrangé les choses. Résultat, "tout est bloqué, soupire un diplomate. Les entreprises françaises perdent des marchés, la coopération entre les services de renseignement est gelée… Il ne se passe plus rien."
Pourtant, certains voient des lueurs d’espoir. "Le remplacement, place Beauvau, de Bruno Retailleau, partisan d’une ligne dure avec Alger, par Laurent Nunez, a été perçu comme un signal par Alger", estime une autre source. Nul doute que ses récentes déclarations - "ceux qui font croire aux Français que le bras de fer et la méthode brutale sont la seule solution, la seule issue, se trompent" - ont été entendues de l’autre côté de la Méditerranée.
Et si, côté français, la libération des otages reste la condition sine qua non d’un réchauffement, certains se disent toutefois qu’un "geste mémoriel" pourrait contribuer au dégel. L’idée avait d’ailleurs été évoquée par Emmanuel Macron et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, lors de leur conversation téléphonique, le 31 mars dernier. Après tout, la diplomatie est friande de symboles. "La première chose à faire serait de relancer la commission mixte d’historiens algériens et français, qui s’était réunie à cinq reprises avant d’être gelée", suggère Benjamin Stora, auteur en 2021 d’un rapport qui a fait couler beaucoup d’encre sur 'la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie'. "Mais restituer un bien peut aussi être un signe fort, ajoute-t-il, d’autant que la France n’en a, jusqu’à maintenant, rendu aucun."
"Et pourquoi pas commencer par le Baba Merzoug ?", tonne Smaïl Boulbina, porte-parole du comité de restitution du fameux canon. Sur le sujet, cet ancien médecin est intarissable. "Il pèse 12 tonnes et tirait des boulets jusqu’à 4 500 mètres, dit-il. Installé dans la citadelle d’Alger, il jouait surtout un rôle dissuasif, tant il était difficile à manœuvrer." À Brest, Hervé Bedri, chargé du patrimoine historique de la Marine pour l’Atlantique, est certainement l’historien français qui connaît le mieux son histoire : "Il a dû être fondu à Istanbul entre 1 512 et 1 520 au profit du sultan ottoman Selim 1er, avant d’être transporté à Alger pour renforcer la défense de la ville, raconte-t-il. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, le Maghreb était sous domination turque. Sa fabrication est une prouesse technique."
Mais le Baba Merzoug est aussi associé, dans la mémoire française, à une tragédie. Il aurait en effet servi à tuer un missionnaire, le père Le Vacher, qui faisait office, en Algérie, de consul du roi Louis XIV. Accusé de trahison par le dey d’Alger lors de la guerre qui l’opposa à la France en 1682, et porté aux gémonies par une foule chauffée à blanc, l’infortuné curé aurait été exécuté par un boulet tiré à bout portant par le canon géant. "Faux ! s’insurge Smaïl Boulbina. Le Baba Merzoug n’y est pour rien, il n’était plus en service depuis 666 !" Légende ou non, c’est en tout cas pour honorer sa mémoire que l’amiral Duperré le rapatrie à Brest en 1830, lors de sa conquête d’Alger, lorsqu’il le trouve dans une casemate.
Considéré comme une prise de guerre, il fait "partie intégrante du patrimoine historique" de nos armées, écrivait en 2006 la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, à qui l’on demandait - déjà- de le restituer. Vingt ans plus tard, l’armée s’opposerait-elle toujours à son retour ? "Il a été confié à la Marine en 1830, donc nous le gardons, mais si l’on nous dit un jour de le rendre, nous obéirons", répond l’historien Hervé Bedri.
Mais est-ce possible, au moins ? Les prises de guerre font, en France, l’objet d’une juridiction spéciale. Toutefois, le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels, actuellement en discussion au Sénat, pourrait changer la donne. Certes, le nouveau texte exclut de l'ensemble des biens pouvant être restitués les biens militaires, ceux-ci étant définis comme des "biens saisis par les forces armées, qui par leur nature, leur destination ou leur utilisation, ont contribué aux activités militaires". Mais justement, le canon Baba Merzoug n’a joué aucun rôle dans la bataille d’Alger, en 1830, puisqu’il était, depuis longtemps, remisé dans une casemate.
"Il sort donc a priori de la catégorie des biens militaires", commente Marie Cornu, directrice de recherches au CNRS et coauteure du Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel (CNRS éditions). "Ajoutons, poursuit-elle, qu’il pourrait être possible de sortir ce canon érigé en colonne du domaine public par une autre voie, celle de sa désaffectation, dès lors qu'il s'agit d'un bien immobilier. Il basculerait alors dans un régime de domanialité privée et ne serait plus considéré comme inaliénable. C’est, par exemple, ce qui s’est passé quand l'Etat a vendu l’Imprimerie nationale à des acteurs privés."
"Canon de la paix", objet de mémoire… mais aussi symbole. Car elle met en lumière une période méconnue de notre histoire commune, à savoir le XIXe siècle. "La guerre d’Algérie n’en est que l’épilogue, avance Benjamin Stora, qui vient de publier France-Algérie, Anatomie d’une déchirure, avec Thomas Snégaroff (Les Arènes). Revenir aux racines profondes de notre relation, en étudiant la façon dont s’est passée la pénétration française en Algérie, entre 1830 et 1880, serait une étape importante dans le processus de réconciliation." Si un fût vert-de-gris, transformé en obélisque sur une place battue par les vents, peut y contribuer…

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