Comment donc ?
Lâancienne directrice des politiques publiques mondiales de Facebook, Sarah Wynn-Williams, accuse Facebook dâavoir proposĂ© en 2015 au rĂ©gime chinois un outil de censure pour pouvoir ĂȘtre autorisĂ© dans le pays dirigĂ© par Xi Jinping. En vain.
Sarah Wynn-Williams est lâancienne directrice des politiques publiques mondiales de Facebook. EmbauchĂ©e en 2011, alors que lâentreprise ne sâappelait pas encore Meta, elle a gĂ©rĂ© les relations de lâentreprise avec les pays dâAmĂ©rique latine, du Canada ou encore de la rĂ©gion Asie-Pacifique, dont la Chine.
Et selon elle, Facebook a travaillé « main dans la main » avec le gouvernement chinois sur de potentiels moyens de lui permettre de censurer et contrÎler le contenu vu et publié en Chine, explique la BBC.
InterrogĂ© par le mĂ©dia britannique, Meta affirme : « ce nâest pas un secret que nous avons Ă©tĂ© un jour intĂ©ressĂ©s [âŠ] Nous avons finalement dĂ©cidĂ© de ne pas donner suite aux idĂ©es que nous avions explorĂ©es ». Lâentreprise affirme par ailleurs que Sarah Wynn-Williams a Ă©tĂ© licenciĂ©e « pour mauvaise performance » en 2017.
Une plainte déposée devant la SEC
Mais Sarah Wynn-Williams dĂ©taille plus longuement ses accusations dans une plainte formelle dĂ©posĂ©e devant la Securities and Exchange Commission (SEC) en avril 2024. Celle-ci allĂšgue que Facebook Ă©tait prĂȘt Ă permettre au Parti Communiste Chinois de superviser tous les contenus qui Ă©taient visibles dans son pays et de censurer toute opinion dissidente, selon le Washington Post qui a eu accĂšs Ă la plainte.
Dans ce document, elle affirme que lâentreprise a Ă©tĂ© jusquâĂ crĂ©er un systĂšme de censure avec un rĂŽle de « rĂ©dacteur en chef » qui aurait pu dĂ©cider le contenu Ă supprimer, ainsi quâune fonction permettant de fermer le site pendant dâĂ©ventuels « troubles sociaux ».
Mark Zuckerberg aurait acceptĂ© la fermeture du compte dâun dissident chinois vivant aux Ătats-Unis suite aux pressions dâun responsable chinois dont lâentreprise espĂ©rait le soutien, affirmerait encore la plainte.
Lâentreprise a « fait de lâobstruction et fourni des informations non pertinentes ou trompeuses » lorsquâelle a Ă©tĂ© interrogĂ©e sur ses actions pour pĂ©nĂ©trer le marchĂ© chinois par les investisseurs et les rĂ©gulateurs amĂ©ricains, affirment les avocats de Sarah Wynn-Williams.
Longue de 78 pages, sa plainte est accompagnĂ©e de documents internes de lâentreprise. Selon le Washington Post, dans lâun dâentre eux, le gouvernement chinois aurait Ă©mis « des pressions agressives [âŠ] pour hĂ©berger les donnĂ©es des utilisateurs chinois dans des centres de donnĂ©es locaux ».
« Dans les pays Ă tendance autoritaire comme la Chine, les contrĂŽles gouvernementaux stricts sur les flux de donnĂ©es sont transformĂ©s en outils de censure, de surveillance et de rĂ©pression » a commentĂ© Katitza Rodriguez de lâElectronic Frontier Foundation.
Nom de code : Projet Aldrin
Dans sa plainte, Sarah Wynn-Williams explique que Mark Zuckerberg a mis en place en 2014 une « Ă©quipe Chine » chargĂ©e de dĂ©velopper une version de Facebook compatible avec le rĂ©gime autoritaire. Nom de code : « projet Aldrin », en rĂ©fĂ©rence Ă lâastronaute Buzz Aldrin. Le but aurait Ă©tĂ© de dĂ©montrer la bonne volontĂ© de lâentreprise face aux exigences du parti au pouvoir.
Le dossier accompagnant la plainte est composĂ© de nombreuses lettres montrant la motivation de Facebook Ă remplir les conditions souhaitĂ©es par la Chine. Par exemple, un salariĂ© de lâentreprise chargĂ© de la politique de protection de la vie privĂ©e aurait Ă©crit : « en Ă©change de la possibilitĂ© dâĂ©tablir des activitĂ©s en Chine, Facebook acceptera dâaccorder au gouvernement chinois lâaccĂšs aux donnĂ©es des utilisateurs chinois, y compris les donnĂ©es des utilisateurs hongkongais ».
« Cela a Ă©tĂ© largement rapportĂ© il y a une dizaine dâannĂ©es », relativise Meta interrogĂ©e par le Washington Post, ajoutant « nous avons finalement choisi de ne pas aller jusquâau bout des idĂ©es que nous avions explorĂ©es, ce que Mark Zuckerberg a annoncĂ© en 2019 ».
Sarah Wynn-Williams prĂ©voit de sortir aux Ătats-Unis un livre titrĂ© « Careless People » (quâon peut traduire par « Dâinsouciantes personnes »). Selon le New York Times, il raconte en dĂ©tail le projet Aldrin dans un chapitre entier.
Elle y rappelle que Mark Zuckerberg avait Ă©tĂ© interrogĂ© devant une commission sĂ©natoriale en 2018 sur la gestion par Facebook du refus du gouvernement chinoise « de permettre Ă une plateforme de mĂ©dias sociaux â Ă©trangĂšre ou nationale â dâopĂ©rer en Chine Ă moins quâelle nâaccepte de se conformer Ă la loi chinoise ». Le CEO de Meta avait rĂ©pondu : « aucune dĂ©cision nâa Ă©tĂ© prise concernant les conditions dans lesquelles un Ă©ventuel service futur pourrait ĂȘtre offert en Chine ». Ă quoi Sarah Wynn-Williams rĂ©torque quâ « il ment ».