Responsables, mais pas coupables
Mark Zuckerberg et dix autres responsables de Facebook étaient accusés par des actionnaires d’avoir failli à leur devoir en laissant Cambridge Analytica exploiter, à leur insu, les données de dizaines de millions d’utilisateurs du réseau social. Au deuxième jour du procès, un avocat des plaignants, qui réclamaient initialement 8 milliards de dollars de dédommagement, a révélé qu’un accord venait d’être conclu pour mettre un terme au procès, mais sans en révéler le montant. Zuckerberg devait être entendu dans trois jours.
Le deuxième jour du procès qui visait onze actuels et anciens responsables de Facebook s’est conclu par un coup de théâtre. Un avocat des plaignants a en effet expliqué à la juge qu’un accord avait été conclu pour mettre un terme au procès, rapporte l’agence Reuters.
Les détails de l’accord n’ont pas été rendus publics. L’avocat des plaignants, Sam Closic, a juste déclaré que l’accord avait été conclu rapidement. La juge Kathaleen McCormick, de la cour de la chancellerie du Delaware, a donc ajourné le procès et félicité les parties.
Ce coup de théâtre intervient alors que Mark Zuckerberg devrait comparaître lundi, et que le procès, qui avait débuté ce mercredi 16 juillet, était prévu pour durer jusqu’au 25 juillet. « En réglant l’affaire à l’amiable, Zuckerberg et les autres défendeurs évitent d’avoir à répondre à des questions sous serment », souligne Reuters.
Les plaignants, des actionnaires de Meta parmi lesquels figurent des fonds de pension, lui réclamaient, ainsi qu’à dix autres dirigeants et membres du conseil d’administration actuels et passés de Facebook, plus de 8 milliards de dollars en remboursement des amendes infligées à Facebook, ainsi que les frais de justice associés, dans le cadre du scandale Cambridge Analytica.
Les plaignants les accusaient en effet d’avoir violé un accord conclu avec la Federal Trade Commission (FTC) en 2012, censé encadrer la protection des données personnelles des utilisateurs de Facebook, afin de les exploiter, sans leur consentement, résume l’agence Reuters.
Pour rappel, l’entreprise Cambridge Analytica avait exploité les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook à partir de 2014 afin d’influencer leurs intentions de vote dans le cadre des primaires présidentielles du Parti républicain américain de 2016, puis en faveur de Donald Trump, et du Brexit au Royaume-Uni.
Étaient également visés par la class action Sheryl Sandberg, l’ex-n°2 de Facebook, le capital-risqueur Marc Andreessen, le co-fondateur de Paypal et de Palantir Peter Thiel, ainsi que Reed Hastings, co-fondateur de Netfix, en tant que membres du conseil d’administration de Facebook, pour avoir manqué à leur devoir de surveillance.
Les amendes les plus importantes jamais infligées en la matière aux USA
Facebook avait en effet accepté de payer en 2019 une amende record de 5 milliards infligée par la Federal Trade Commission. La FTC précisait alors que cette amende était « près de vingt fois supérieur à la plus importante amende jamais imposée dans le monde en matière de confidentialité ou de sécurité des données ».
Meta avait également accepté, en 2022, de payer 725 millions de dollars à la justice états-unienne pour mettre fin à un procès collectif réclamant des dommages et intérêts pour avoir laissé des tiers, à l’instar de la société Cambridge Analytica, avoir accès aux données privées des utilisateurs.
Il s’agissait là encore du « montant le plus élevé jamais atteint dans un procès en nom collectif sur les données privées et jamais payé par Facebook pour mettre fin » à ce type de poursuite, avaient alors affirmé les avocats de la défense, soulignait La Tribune.
Facebook avait aussi dû payer 100 millions de dollars après que la Securities and Exchange Commission (SEC) l’eut accusé d’avoir fourni des informations trompeuses concernant le risque d’utilisation abusive des données des utilisateurs de Facebook.
Il fallait sauver le soldat Mark, « force motrice » de Facebook
Pour leur défense, les mis en cause rétorquaient que Meta disposait bien d’une équipe chargée de la conformité, qu’elle avait également fait appel à un cabinet indépendant pour encadrer la protection des données, mais qu’ils avaient été victimes d’une « tromperie méthodique » de la part de Cambridge Analytica.
Les plaignants avançaient en outre que Mark Zuckerberg aurait vendu pour 1 milliard de dollars d’actions Facebook, anticipant une chute de son cours en bourse suite au scandale. Ses défenseurs rétorquaient que ces ventes avaient été effectuées conformément à la réglementation sur les délits d’initiés, afin de financer des activités caritatives.
Toujours d’après Reuters, qui a assisté à l’ouverture du procès ce mercredi, un ancien conseiller de Barack Obama et Joe Biden a affirmé que le conseil d’administration de Facebook n’avait pas cherché à protéger Mark Zuckerberg lorsqu’il avait accepté de payer l’amende de la FTC, mais à soutenir la croissance de l’entreprise.
Jeffrey Zients, qui fut chef de cabinet de la Maison Blanche sous la présidence de Joe Biden après avoir occupé plusieurs postes à responsabilité du temps de Barack Obama, avait été nommé au conseil d’administration de Facebook en 2018, suite au scandale Cambridge Analytica, afin d’en diriger son comité d’audit et de supervision des risques, avant de le quitter en 2020.
M. Zients a précisé que la FTC avait initialement demandé « des dizaines de milliards de dollars », mais aussi qu’elle était prête à accepter 5 milliards de dollars, et que Facebook estimait alors qu’il était important de parvenir à un accord qui ne mentionnerait pas Zuckerberg en tant que défendeur.
« Rien n’indiquait qu’il ait fait quelque chose de mal », a soutenu M. Zients au tribunal, ajoutant que Zuckerberg était la « force motrice » de Facebook, et qu’ « il était important qu’il continue dans ce rôle ».
Des notes prises par M. Zients lorsqu’il siégeait au conseil d’administration semblaient par ailleurs montrer qu’il incitait le conseil d’administration à faire de la protection de la vie privée des utilisateurs une priorité absolue, ce qui affaiblirait les allégations des plaignants, relève Reuters.
Des « allégations d’actes répréhensibles à une échelle vraiment colossale »
Les avocats des plaignants affirmaient cela dit que Mme Sandberg et M. Zients avaient utilisé des comptes de messagerie personnels pour communiquer sur des questions essentielles liées au procès et qu’ils n’avaient pas désactivé la fonction de suppression automatique, bien qu’il leur ait été demandé de préserver leurs archives.
Cela avait d’ailleurs valu à Sheryl Sandberg d’être sanctionnée, en janvier dernier, rapportait Reuters, pour avoir utilisé un compte personnel sous pseudonyme, et effacé des messages susceptibles d’être pertinents pour le procès intentés par les actionnaires.
« Étant donné que Mme Sandberg a supprimé de manière sélective des éléments de son compte Gmail, il est probable que les échanges les plus sensibles et les plus probants aient disparu », avait souligné le Vice-chancelier Travis Laster, de la Cour de la chancellerie du Delaware.
Les actionnaires avaient également demandé à Laster de sanctionner Jeffrey Zients, qui avait lui aussi utilisé et supprimé des courriels personnels lorsqu’il siégeait au conseil d’administration de Meta. Le juge avait cela dit estimé déclaré que ses messages étaient moins pertinents parce qu’il avait rejoint le conseil de Meta en 2018, après le scandale Cambridge Analytica, et qu’il n’était pas un dirigeant de l’entreprise.
En 2023, Laster avait par ailleurs refusé de rejeter l’action en justice intentée par les actionnaires, qu’il a qualifiée d’ « affaire impliquant des allégations d’actes répréhensibles à une échelle vraiment colossale ».
Une juge connue pour avoir fait plier Elon Musk
La juge Kathaleen McCormick, elle aussi de Cour de la chancellerie du Delaware, s’était fait connaître en contraignant Elon Musk à débourser 44 milliards de dollars pour finaliser l’acquisition de Twitter, puis en cherchant à annuler l’an passé sa rémunération de 56 milliards de dollars de la part de Tesla, ce qui avait incité l’entreprise à quitter le Delaware pour le Texas.
Les deux tiers des sociétés Fortune 500 y sont en effet domiciliées, ce qui en fait une plaque tournante des litiges relatifs à la gouvernance d’entreprise aux États-Unis, et l’un des principaux tribunaux de commerce du monde.
Meta, qui n’est pas directement mise en cause, a refusé de commenter le procès. Sur son site web, relève Reuters, l’entreprise explique avoir investi des milliards de dollars dans la protection de la vie privée des utilisateurs depuis 2019.
C’est la deuxième fois que Zuckerberg évite de témoigner devant le tribunal, souligne Reuters. En 2017, Facebook avait déjà abandonné un projet d’émission d’une nouvelle catégorie d’actions pour permettre à Zuckerberg d’étendre son contrôle sur l’entreprise tout en vendant ses actions. La décision était intervenue une semaine avant que Zuckerberg ne doive témoigner devant la Cour de chancellerie.