Blocage de sites porno : pourquoi la justice rejette le recours de Cloudflare
22’, VLOP l’Arcom

En mars, l’Arcom demandait à Cloudflare de bloquer l’accès à Camschat, un site de contenus pornographiques. La plateforme a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Paris. Ce dernier a rejeté la demande et répond au passage à « plusieurs questions de principe » sur le sujet.
En avril 2024, la loi SREN (Sécuriser et réguler l’espace numérique) était définitivement adopté. Le projet de loi avait été déposé en mai 2023, avec une procédure accélérée. Afin de s’accorder avec le droit européen, le texte a été revu avec précaution et corrigé durant sa navette parlementaire.
Un des axes du texte est de « protéger les plus jeunes des dangers d’Internet », notamment des contenus pornographiques. Ainsi, le texte permet à l’Arcom, après mise en demeure, d’« ordonner sous le contrôle a posteriori du juge administratif qui devra statuer rapidement : le blocage des sites pornographiques qui ne contrôlent pas l’âge de leurs utilisateurs ; leur déréférencement des moteurs de recherche sous 48 heures », explique Vie-Publique.
En 2023, l’Arcom tirait la sonnette d’alarme : « L’exposition des mineurs aux contenus pornographiques est en forte progression sur internet. Chaque mois, 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques, un chiffre en croissance rapide au cours des dernières années ».
« Le droit de l’Union européenne prime sur le droit national »
Mais attention, comme nous l’avions déjà expliqué l’année dernière, cela ne concerne que les sites basés en France et en dehors de l’Europe. Des sites domiciliés dans un autre pays de l’Union européenne pourront aussi être concernés, mais uniquement via un arrêté. C’est la même pirouette pour les mesures sur le cloud (encadrement des frais de transfert de données et de migration, plafonnement à un an des crédits cloud, obligation pour les services cloud d’être interopérables…).
En effet, la France (comme n’importe quel pays de l’Union) ne peut pas entrer en concurrence avec les textes européens : « le droit de l’Union européenne prime sur le droit national, y compris les dispositions constitutionnelles », rappelle Vie Publique. Il en est de même pour les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne qui sont contraignants pour toutes les autorités des États membres.
Des demandes de blocages de sites pornos
C’est ainsi que, en octobre dernier, la cour d’appel de Paris ordonnait « le blocage de plusieurs sites pornographiques extra-européens en raison de l’absence de contrôle de l’âge des utilisateurs, mais a accordé un sursis aux plateformes hébergées dans l’Union européenne ».
Cette année, l’Arcom a ordonné à Cloudflare de bloquer l’accès au site Camschat, un site qui propose des contenus pornographiques, dans un délai de 48 h. Cloudflare a contesté la décision. Pour la première fois, le tribunal administratif de Paris a ainsi été saisi d’un « recours contre une décision de l’Arcom », comme l’a repéré l’avocat spécialiste du numérique Alexandre Archambault.
Le quarté du jour : 91.134.78.244
Dans sa décision, le tribunal commence par rappeler les doléances de Cloudflare : « à titre principal, d’annuler la décision du 6 mars 2025 par laquelle le président de l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) lui a notifié l’adresse électronique https://camschat.net/ afin qu’elle empêche l’accès à cette adresse dans un délai de quarante-huit heures pour une durée de deux ans et l’informe que les utilisateurs souhaitant accéder à l’adresse sont redirigés vers une page d’information de l’Arcom accessible à l’adresse 91.134.78.244 ».
Cette IP (gérée par OVHcloud) est associée au nom de domaine protectiondesmineurs.arcom.fr. On arrive sur une page expliquant que « le site pornographique auquel vous avez tenté d’accéder fait l’objet d’une décision de blocage ».

Compatibilité entre la loi française et le DSA européen
Dans un communiqué, le tribunal explique qu’il a dû se « prononcer sur plusieurs questions de principe ». La première était « la compatibilité de la loi française avec le règlement européen sur les services numériques », alias le DSA. La question peut être résumée ainsi : est-ce que « le législateur national pouvait fixer des règles complémentaires à celles issues du droit de l’Union » ?
La réponse est oui pour le tribunal administratif. Bien évidemment, il s’explique : « Le tribunal a relevé que le règlement européen procède à une harmonisation complète du régime de protection des mineurs s’agissant des fournisseurs de plateformes en ligne normalement accessibles aux mineurs […] et de « très grandes plateformes en ligne » » (ou VLOP), c’est-à-dire celle avec plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels actifs ou « qui est désignée comme telle par une décision de la Commission européenne ».
Camschat n’est ni une très grande plateforme ni accessible aux mineurs
Sur ces deux types de plateformes (sans condition d’âge ou les VLOP), « les autorités nationales sont en principe dessaisies de leur compétence normative », précise le tribunal. Mais, il reste un trou dans la raquette, comme l’indique le tribunal : « le règlement européen ne procède pas à une telle harmonisation s’agissant des autres plateformes qui ne relèvent pas de ces deux catégories, à l’instar de Camschat ».
Pour simplifier, le site ne dépasse pas le seuil pour être qualifié de VLOP et ne doit pas être accessible aux mineurs (puisqu’il propose des contenus pornographiques). Le Tribunal l’explique d’ailleurs dans sa décision :
« Il ressort des pièces du dossier et n’est pas contesté par la société Cloudflare que le fournisseur de la plateforme de partage de vidéos proposant le service « Camschat », dont il est constant qu’il contient des contenus pornographiques licites, n’est pas une plateforme normalement accessible aux mineurs ou une très grande plateforme au sens du règlement du 19 octobre 2022 ».
Puisque le règlement européen ne s’applique pas dans ce genre et de situation, et afin de « protéger les mineurs contre les contenus proposés par celles-ci, les États membres peuvent édicter des mesures complémentaires à celles du règlement européen ». Pour le moment, rien à redire donc sur la décision de l’Arcom.
Une « atteinte proportionnée »
La deuxième question de principe concerne la territorialité de l’injonction : « Le tribunal a considéré que même si l’injonction peut viser des plateformes ayant leur siège hors de France, seuls les mineurs établis sur le territoire français doivent être empêchés d’accéder à ces contenus en ligne ».
Enfin, le tribunal administratif a « jugé que le dispositif de contrôle par l’Arcom porte une atteinte proportionnée aux libertés d’entreprise et d’expression ». L’objectif d’empêcher l’accès des mineurs à des contenus pornographiques est légitime et « aucun dispositif moins attentatoire à l’exercice des droits ne permet d’atteindre cet objectif ».
En conséquence, le tribunal administratif décide que la « requête de la société Cloudflare est rejetée ».