The Voice of Hind Rajab : entendre les voix de Gaza
Lire The Voice of Hind Rajab : entendre les voix de Gaza sur www.cineserie.com
Le choc de la 82e Mostra de Venise
Début 2024, Kaouther Ben Hania est à Los Angeles pour promouvoir son documentaire Les Filles d’Olfa, nommé aux Oscars. Là, elle apprend l’assassinat par l’armée israélienne d’Hind Rajab, fillette gazaouie de cinq ans. Celle-ci se trouvait avec son oncle, sa tante, et quatre de ses cousins alors qu’ils fuyaient Gaza en voiture. Pris pour cible par des tirs israéliens, elle est la seule survivante d’une première attaque. Prise au piège dans la voiture, entre les corps de ses proches tués, elle va pendant plusieurs heures être en contact téléphonique avec le Croissant-Rouge palestinien, chargé avec d’autres organismes d’organiser son évacuation par ambulance. Avant qu’une nouvelle attaque ne l’emporte à son tour…
Bouleversée, Kaouther Ben Hania interrompt son voyage américain et l’autre projet sur lequel elle travaillait à ce moment. Elle entre en contact avec le Croissant-Rouge palestinien, qui lui fournit 70 minutes d’enregistrement téléphonique entre la fillette et ses employés. Commence alors la production de The Voice of Hind Rajab, docu-fiction unique en son genre, long-métrage d’1h29 tétanisant et bouleversant. Ce 3 septembre 2025, il a été présenté en compétition à la 82e Mostra de Venise, et a reçu une ovation recorde de 23 minutes.
Fausse fiction, vrai documentaire
L’essentiel des images de The Voice of Hind Rajab sont de fiction, reconstituant avec un casting professionnel dans les bureaux de Ramallah du Croissant-Rouge palestinien les échanges avec Hind et les efforts pour que des ambulances parviennent sur le lieu de l’attaque. Mais c’est bien sa voix qu’on entend, avec l’enregistrement que Kaouther Ben Hania a pu utiliser. À différents moments, elle superpose aussi sur ses images reconstituées des employés de la société de secours les images de ses véritables employés, captées au smartphone le jour de la mort d’Hind Rajab.
Ce dispositif, dans un film qui utilise les codes du thriller et la tension inhérente à un compte-à-rebours, a divisé le public amateur comme professionnel. Si la mère d’Hind a validé la démarche et accompagné le projet, apparaissant elle-même à la fin de The Voice of Hind Rajab, la question se pose toujours : jusqu’où le cinéma, même dans son genre documentaire, peut-il se saisir de la réalité, celle-ci étant en l’occurrence la réalité la plus tragique de notre temps ?

Un film pour notre temps
The Voice of Hind Rajab est donc un tour de force monumental, sans concession et d’une violence désespérée, un geste de cinéma inédit et, c’est à souhaiter, inimitable. Impossible de ne pas se laisser envahir par l’émotion et, surtout, d’ignorer l’intention nécessaire de son auteure : donner une voix au peuple gazaoui, une population sous un feu constant et privée d’expression par l’embargo médiatique imposé par l’armée israélienne dans la zone. Et lui donner cette voix en particulier, celle d’une enfant assassinée, devenue le symbole des milliers d’autres enfants tués depuis l’invasion israélienne de la bande de Gaza débutée le 27 octobre 2023. Au 30 juillet 2025, The Washington Post comptabilisait, noms à l’appui, au moins 18 500 enfants tués.
Tourné avec des moyens modestes et s’en tenant le plus possible aux faits objectivement établis, on ne voit dans The Voice of Hind Rajab logiquement rien du lieu de l’attaque et la caméra ne sort pas des bureaux du Croissant-Rouge. Aucune violence graphique à l’écran, si ce n’est celle, terrassante, constituée par cette petite voix au téléphone, les interruptions de communication, les difficultés à mettre sur la route des ambulances. Ambulances qui seront elles aussi finalement attaquées, et leurs chauffeurs tués. C’est ainsi dans son hors champ, dans la coupure des communications qui suit immédiatement le son de coups de feu, que réside toute l’horreur de The Voice of Hind Rajab.
Le film de Kaouther Ben Hania sera-t-il au palmarès de la 82e Mostra de Venise ? On le saura samedi 6 septembre, mais il est certain qu'il fera de toute manière date.