Des nuages sur l'Internet africain
Le broker d’IP Cloud Innovation a demandé à la justice mauricienne rien de moins que la liquidation juridique de l’AfriNIC, alors que les élections de son bureau ont été reportées après des suspicions de fraude. L’ICANN se dit opposée à cette demande et rappelle au gouvernement de Maurice qu’elle est la seule autorité à pouvoir accréditer un registre Internet régional.
La guerre des IPv4 en Afrique vient de passer une nouvelle étape. L’entreprise Cloud Innovation, qui a son siège social aux Seychelles mais est associée à une société établie à Hong Kong, a demandé la liquidation juridique de l’AfriNIC.
Alors que Cloud Innovation affirme s’appuyer sur les positions de l’ICANN pour justifier sa demande, l’autorité de régulation d’Internet au niveau global répond dans un courrier que « l’ICANN tient à préciser que rien n’est plus éloigné de la vérité ».
Cette demande fait suite à l’annulation des élections du bureau du Registre Internet régional desservant l’Afrique que nous évoquions et la confirmation de nouvelles élections le 30 septembre prochain.
Une liquidation demandée par Cloud Innovation mais pas du tout par l’ICANN
Comme le rapporte le média sud africain MyBroadBand, la procédure de liquidation de l’AfriNIC a été lancé par Cloud Innovation avec une annonce officielle dans plusieurs journaux mauriciens le 10 juillet dernier. L’AfriNIC a confirmé sur son site en avoir été informée et explique qu’elle doit y répondre devant la justice mauricienne avant le 24 juillet prochain.
Le broker d’IP a aussi annoncé sur son site personnel cette action en affirmant que « l’annulation des élections de juin en raison d’une irrégularité mineure a confirmé qu’aucune élection ne sera acceptée comme légitime tant qu’un seul concurrent pourra en invalider les résultats ».
Mais l’entreprise basée aux Seychelles affirme aussi que, « comme l’a noté l’ICANN, même un vote parfaitement supervisé ne peut réussir si les parties prenantes sont prêtes à contester les résultats et si le cadre de gouvernance lui-même est compromis ».
« Bien que Cloud [Innovation] suggère que la dissolution de l’AFRINIC est conforme aux demandes de l’ICANN, l’ICANN souhaite préciser que rien n’est plus éloigné de la vérité », affirme le président et CEO de l’ICANN, Kurt Erik Lindqvist, dans une lettre adressée à la justice mauricienne et au ministre des télécommunications de l’île. L’autorité internationale y réaffirme sa volonté d’une nouvelle organisation d’élections pour le bureau de l’AfriNIC : « Comme l’ICANN l’a demandé à plusieurs reprises, des élections libres et équitables au cours desquelles tous les membres éligibles d’AFRINIC ont la possibilité de participer en connaissance de cause ont été et restent possibles. Un bureau dûment élu, capable d’agir au nom de membres engagés, devrait être l’organe qui agit au nom d’AFRINIC ».
Dans cette lettre, l’autorité réaffirme être la seule responsable de la reconnaissance des registres Internet régionaux et de leur accréditation.
La Number Resource Society pointée du doigt
En soutien aux avertissements que l’AfriNIC a publiés sur son site à propos de la Number Resource Society, l’ICANN en profite pour remettre à sa place ce lobby créé par Cloud Innovation. L’AfriNIC expliquait : « Nous savons qu’un certain nombre de membres ont récemment été contactés par un groupe externe connu sous le nom de Number Resource Society (NRS), invitant à participer à des réunions en ligne et encourageant la signature d’une procuration ». Dans sa lettre, l’ICANN confirme avoir « entendu des informations similaires ».
Elle ajoute que : « les allégations selon lesquelles l’ICANN aurait déformé les rapports d’un média financé par le PDG d’un membre ressource de l’AFRINIC, Cloud Innovation Ltd (Cloud), sont sans fondement. L’ICANN exhorte les membres ressources de l’AFRINIC à examiner attentivement les sources, en particulier lorsqu’un média prétendument « impartial » publie plus de 50 articles relatifs à l’AFRINIC en deux semaines et sollicite les membres à utiliser la Number Resource Society (NRS) pour « organiser votre activité électorale [AFRINIC] » ».
« La NRS a également des liens directs avec le PDG de Cloud et a pris des positions controversées qui préconisent explicitement de traiter les blocs d’adresses IP comme des biens propres, en contradiction directe avec les politiques officielles de l’AFRINIC, en cherchant à établir des titres de propriété légaux pour les ressources IP », affirme, toujours dans sa lettre, Kurt Erik Lindqvist.
Des appels plus insistants du milieu de la tech africaine
L’expert Emmanuel Vitus, qui a alerté depuis quelques temps sur le sujet, a récemment publié une lettre ouverte à l’Afrique dans laquelle il qualifie cette demande de dissolution de l’AfriNIC de « requête sèche, glaciale, implacable ». « Elle demande qu’on abatte la maison », déplore-t-il en ajoutant qu’ « il ne faut pas être juriste pour saisir la gravité du moment. Il faut être africain ». Pour lui, « Cloud Innovation ne crie pas à l’aide. Elle chante sa victoire annoncée. Ce n’est pas un appel à la raison. C’est un chant du cygne, un sabbat procédurier aux allures de danse macabre ».
Sur X, l’entrepreneuse ougandaise Evelyn Namara alerte aussi et demande aux fournisseurs d’accès à internet de son pays de déposer une objection à cette dissolution avant le 24 juillet « pour maintenir AFRINIC en vie ! ».