Spill the tea
Apple a subi un revers majeur début mai dans son combat contre Epic. Selon une ordonnance du tribunal, la société n’a plus le droit de facturer le moindre frais sur les paiements réalisés en dehors de l’App Store, quand on se sert d’un lien externe dans une application. Apple assure être restée dans les limites de la loi, critique vertement la décision et demande désormais à changer de juge.
Toute l’histoire porte sur les pratiques anti-steering, comme en Europe. Le steering, que l’on peut traduire par « orientation » ou « pilotage », permet aux éditeurs d’applications tierces de rediriger les utilisateurs vers des contenus payants, en proposant notamment des promotions qui ne peuvent pas apparaitre sur l’App Store. Apple n’aime pas le concept, et pour cause : sa commission de 30 % s’applique aussi à l’ensemble des contenus in-app, c’est-à-dire achetés depuis une application.
Ces pratiques avaient été dénoncées par Epic par une opération coup de poing, qui avait abouti au bannissement du jeu Fortnite il y a cinq ans. Le jeu n’est revenu que très récemment sur la boutique. Les deux entreprises s’affrontaient depuis au tribunal. Début mai, après de nombreux échecs, Epic a remporté une victoire éclatante : Apple n’a plus le droit de facturer le moindre centime sur les achats réalisés ailleurs que sur l’App Store et ne peut plus bloquer les éditeurs qui souhaitent mettre des liens.
Apple avait très rapidement annoncé son intention de faire appel. Bien que ce ne soit pas encore l’heure d’une révision, la société veut faire tomber l’ordonnance de la juge Yvonne Gonzalez Rogers, particulièrement en colère contre Apple lors du verdict.
L’ordonnance n’aurait aucune base légale
Apple a remis le 23 juin un document (PDF) à la cour d’appel, dans lequel l’entreprise présente sa défense. Le document, de plusieurs dizaines de pages, présente une série d’arguments tentant de prouver que l’ordonnance de la juge Gonzalez Rogers ne tient pas.
L’un des points les plus importants, abordé dès la page 3, concerne la notion d’outrage civil, prononcé par la juge. Selon Apple, l’outrage ne peut être invoqué que pour forcer une personne (morale ou physique) à faire appliquer une ordonnance précédente, pas pour punir. Or, si l’on en croit l’entreprise, l’outrage civil décrété par la juge aurait été utilisé pour punir. Et si l’outrage ne tient pas, alors la décision qui l’accompagne – laisser une liberté totale au steering – ne tient pas non plus.
Pour Apple, la décision du tribunal va jusqu’à violer l’Unfair Competition Law de la Californie, que l’entreprise dit parfaitement respecter. Elle va plus loin, en affirmant que cette décision « équivaut à une prise de possession en violation de la Constitution des États-Unis ». Avec en ligne de mire, l’obligation de ne plus appliquer la moindre commission sur toute une partie des transactions.
Ce point irrite particulièrement la société Cupertino : « Il y a un grand fossé entre le fait de constater que la commission de 27 % d’Apple est trop élevée et le fait de déclarer qu’Apple n’est plus autorisée à prélever la moindre commission ». Apple dit comprendre la décision initiale et sous-entend qu’elle serait prête à discuter d’un nouveau montant, mais que l’interdiction totale est une punition violant la loi sur la concurrence.
L’argument de la sécurité
Apple réclame donc plusieurs changements de taille : annuler la dernière injonction pour récupérer ses commissions sur les achats externes, pouvoir rétablir ses règles sur le steering et annuler le constat d’outrage civil.
Pour l’entreprise, c’est avant tout une question de sécurité. La société dit craindre une explosion des pratiques trompeuses, voire malveillantes si les liens intégrés dans les applications ne sont pas contrôlés. L’argument de la sécurité est régulièrement cité par l’entreprise, notamment dans ses critiques – toujours très vertes – de la législation européenne, en particulier le DMA. Apple n’avait ainsi pas hésité à déclarer que l’iPhone européen serait moins sécurisé que les autres à cause de l’ouverture aux boutiques tierces, tout en affirmant que même ainsi, il resterait le plus sécurisé des smartphones du marché.
Pour preuve, un porte-parole a déclaré au site Law360 : « Apple a passé des décennies à gagner la confiance des utilisateurs dans la sécurité, la confidentialité et la technologie innovante qu’offre l’App Store, et nous sommes profondément préoccupés par le fait que cette injonction empêche maintenant Apple de continuer à protéger nos utilisateurs de manière importante. (…) Nous faisons appel de cette ordonnance pour nous assurer que l’App Store reste une opportunité incroyable pour les développeurs et une expérience sûre et fiable pour tout le monde »
Apple veut changer de juge
L’entreprise réclame également à changer de juge. Sans le dire clairement, elle estime que la juge Yvonne Gonzalez Rogers a une dent contre elle. Si la procédure en appel devait aboutir, l’affaire serait en effet renvoyée au tribunal de district dont elle est issue, ce qui signifie en théorie revenir à la même juge qui a géré le dossier en première instance.
Mais si la cour devait estimer qu’un renvoi est nécessaire, « elle devrait attribuer l’affaire à un autre juge de district », déclare Apple page 72.
« Le renvoi est approprié lorsque « l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que le juge initial éprouve, lors du renvoi, des difficultés substantielles à faire abstraction des opinions ou conclusions qu’il a précédemment exprimées » ou lorsque « le renvoi est souhaitable pour préserver l’apparence de la justice ». Les deux circonstances sont réunies en l’espèce. »
Et Apple d’expliquer que la juge Gonzalez Rogers aura probablement « des difficultés substantielles à faire abstraction » de la procédure antérieure. L’entreprise dit ne pas remettre « en cause les motivations du tribunal de première instance ». Mais cette affaire présenterait « une combinaison inhabituelle de circonstances exceptionnelles ». Le renvoi devant un autre juge serait « justifié afin de préserver l’apparence de la justice ».