L’administration Trump efface et censure au moins 200 mots, dont injustice et pollution
1984 was not supposed to be an instruction manual

L’un des premiers décrets signés par Donald Trump visait à « Rétablir la liberté d’expression et mettre fin à la censure fédérale ». Le New York Times, recourant à un grand modèle de langage, a découvert 250 mentions de près de 200 mots et expressions ayant disparu, sans explication, des sites de l’administration fédérale, depuis l’investiture du nouveau président. L’agence Associated Press a de son côté identifié 26 000 photographies « marquées pour suppression », dont celles de l’avion ayant largué une bombe atomique sur Hiroshima, Enola Gay, et de militaires dont le nom de famille est, lui aussi, « Gay ».
Des journalistes du New York Times ont identifié une liste de près de 200 mots et expressions dont certaines mentions ont disparu des principaux sites web de l’administration états-unienne. La liste, qui figure en exergue de leur article, est tellement longue qu’il est impossible d’en faire une capture sur un écran horizontal.


Y figurent notamment les mots : accessible, plaidoyer, avocat, antiracisme, à risque, biais, noir, énergie propre, crise climatique, science climatique, biais de confirmation, handicap, discrimination, qualité environnementale, égalité, exclusion, féminisme, violence sexiste, discours haineux, identité, immigrants, inclusion, inégalité, injustice, minorité, multiculturel, oppression, politique, pollution, préjugé, privilège, racisme, ségrégation, sexe, sexualité, justice sociale, stéréotype, défavorisé, victimes, femmes.
Certains termes indiqués avec un signe + représentent des combinaisons de mots associés à des personnes transgenres, « ce qui n’est pas conforme à la position actuelle du gouvernement fédéral selon laquelle il n’y a que deux sexes immuables », précise le New York Times.
Il souligne également que si tous les termes répertoriés figuraient sur un document d’ « au moins une agence », cela ne signifie pas nécessairement que l’ensemble des autres agences aient également été dissuadées de les utiliser.
Il relève en outre que, dans certains cas, des responsables des agences fédérales « ont conseillé la prudence dans l’utilisation des termes sans pour autant instaurer une interdiction pure et simple ».
Cette liste est, au surplus, « très probablement incomplète », d’une part parce que le journal étasunien s’est contenté d’analyser un peu plus de 5 000 pages seulement, mais également parce que les modifications identifiées l’ont été début février, et que d’autres ont pu intervenir entre-temps :
« Il est possible qu’il existe davantage de notes de service des agences que celles qui ont été vues par les journalistes du New York Times, et certaines directives sont vagues ou suggèrent un langage qui pourrait être inadmissible sans l’affirmer catégoriquement »
Un LLM pour analyser les modifications sur plus de 5 000 pages
Pour parvenir à établir cette liste, les journalistes du Times ont extrait le texte de plus de 5 000 pages, qu’il s’agisse des pages d’accueil des principaux sites web des ministères et agences fédérales, ou de pages vers lesquelles elles renvoient, avant et après l’investiture de Donald Trump.
Ils ont ensuite utilisé un grand modèle de langage pour identifier les changements avant/après, et « en particulier les mots mis en évidence comme n’étant plus utilisés ». Ils ont ensuite examiné manuellement chaque passage modifié « afin de déterminer la signification et la pertinence » de chacune des 250 modifications ou suppressions répertoriées.
Si certains mots (comme transexuel, transgenre ou l’expression « Diversité, égalité et inclusion ») semblent avoir été bannis en tant que tels, d’autres (comme femmes, victimes ou noir) ne semblent l’avoir été que dans certains contextes spécifiques. Le New York Times ne fournit pas, cela dit, l’intégralité des 250 modifications identifiées, mais seulement quelques-unes.
La crise climatique ne connaît pas de frontières
Où l’on découvre par exemple qu’une phrase précisant que « la pandémie de COVID-19 a eu un impact disproportionné sur les communautés défavorisées » a été effacée, tout comme le fait que « 60 % du personnel enseignant du programme Head Start [qui, sous l’égide du département de la santé, de l’éducation et des services sociaux, vient en aide aux enfants et familles défavorisées, ndlr] sont des Noirs, des indigènes et des personnes de couleur, et 30 % ont une langue principale autre que l’anglais », ainsi que ce passage :
« L’injustice raciale dans notre pays a également fait l’objet d’une attention accrue, ce qui a conduit à des appels à des réformes majeures pour remédier à des inégalités sociétales de longue date. »
Le département d’État a pour sa part effacé la mention de l’accord de Paris sur le climat, ainsi que le fait que « la crise climatique ne connaît pas de frontières, et tant le défi que ses solutions vont de l’échelle locale à l’échelle mondiale. C’est pourquoi la coopération et la collaboration internationales par la négociation et la mise en œuvre d’accords internationaux sont essentielles ».

26 000 photos marquées pour suppression, dont celles d’Enola Gay
L’agence AP révélait de son côté la semaine passée que « plus de 26 000 photographies » avaient par ailleurs été « marquées pour suppression » par le ministère de la Défense, qui s’efforce lui aussi de « purger le contenu relatif à la diversité, à l’équité et à l’inclusion » (DEI) :
« La grande majorité de la purge du Pentagone vise les femmes et les minorités, y compris les événements marquants survenus dans l’armée. Il supprime également un grand nombre de messages mentionnant divers mois commémoratifs, notamment pour les Noirs, les Hispaniques et les femmes. »
Y figurent notamment des photographies d’Enola Gay, l’avion qui avait largué une bombe atomique sur Hiroshima, quand bien même son nom est une référence à la mère du pilote du bombardier, et nullement à l’homosexualité, comme l’explique AP :
« Plusieurs photos d’un projet de dragage du Corps des ingénieurs de l’armée en Californie ont été marquées pour être supprimées, apparemment parce qu’un ingénieur local figurant sur la photo portait le nom de famille Gay. Une photo de biologistes du Corps d’armée figurait également sur la liste, apparemment parce qu’elle mentionnait qu’ils enregistraient des données sur les poissons, notamment leur poids, leur taille, leur écloserie et leur sexe. »

« Nous sommes satisfaits du respect rapide, par l’ensemble du département, de la directive visant à supprimer le contenu DEI de toutes les plates-formes », explique à AP le porte-parole du Pentagone, John Ullyot. Il précise cela dit que « Dans les rares cas où le contenu retiré n’entre pas dans le champ d’application clairement défini de la directive, nous donnons des instructions aux composantes en conséquence ».
Ce 11 mars, la photo d’Enola Gay était encore consultable sur le site de l’US Air Force. Un fonctionnaire, sous couvert d’anonymat, précise à AP que la purge pourrait supprimer jusqu’à 100 000 images ou messages au total, si l’on tient compte des pages de médias sociaux et d’autres sites web qui sont également examinés à la recherche de contenu DEI.
« Rétablir la liberté d’expression et mettre fin à la censure fédérale »
Le New York Times souligne que le président Trump et ses proches conseillers se sont pourtant souvent présentés « comme des champions de la liberté d’expression ». Intitulé « Rétablir la liberté d’expression et mettre fin à la censure fédérale », l’un des premiers décrets signés par le président des États-Unis, le premier jour de son retour au pouvoir, rappelait ainsi que « la censure de la parole par le gouvernement est intolérable dans une société libre ».
S’en prenant plus particulièrement à ce qu’il décrivait comme une campagne de pression menée par l’administration Biden pour « étouffer » le droit à la liberté d’expression, « en censurant les propos des Américains sur les plateformes en ligne, souvent en exerçant une pression coercitive importante sur des tiers, tels que les entreprises de médias sociaux, pour qu’ils modèrent, déplacent ou suppriment d’une autre manière les propos que le gouvernement fédéral n’approuvait pas » :
« Sous couvert de lutte contre la « désinformation » et la « malinformation », le gouvernement fédéral a enfreint les droits d’expression protégés par la Constitution des citoyens américains à travers les États-Unis de manière à faire avancer le récit préféré du gouvernement sur des questions importantes du débat public ».
Il s’engageait dès lors à « s’assurer qu’aucun fonctionnaire, employé ou agent du gouvernement fédéral ne s’engage ou ne facilite une conduite qui restreindrait de manière inconstitutionnelle la liberté d’expression de tout citoyen américain », et à « identifier et prendre les mesures appropriées pour corriger les fautes passées du gouvernement fédéral liées à la censure de la liberté d’expression ».