Charge annuelle
Au Forum économique mondial de Davos cette semaine, Catherine De Bolle, à la tête d’Europol, a lancé une nouvelle charge contre le chiffrement. La directrice de l’agence, dont les positions sont connues, a pointé du doigt les grands noms de la tech, rappelant leur « responsabilité sociale » dans la lutte contre la criminalité.
En avril dernier, sous l’impulsion de Catherine De Bolle, les chefs de police européens avaient lancé un appel commun contre le chiffrement de bout en bout. Le calendrier ne devait rien au hasard : Meta commençait alors à l’utiliser dans un plus grand nombre de produits, au-delà du seul WhatsApp.
« Nos maisons deviennent plus dangereuses que nos rues, car la criminalité se déplace en ligne. Pour assurer la sécurité de notre société et de nos concitoyens, nous devons sécuriser cet environnement numérique. Les entreprises technologiques ont une responsabilité sociale dans le développement d’un environnement plus sûr où les forces de l’ordre et la justice peuvent faire leur travail. Si la police perd la capacité de recueillir des preuves, notre société ne sera pas en mesure de protéger les personnes contre les crimes », avait alors martelé la directrice.
Neuf mois plus tard, la position est toujours aussi affirmée. Au Forum de Davos, Catherine De Bolle a pris la parole cette semaine, affirmant que « l’anonymat n’est pas un droit fondamental » et qu’elle rencontrerait les grandes entreprises de la tech pour aborder la question du chiffrement.
Nouvelle offensive contre le chiffrement
Le chiffrement, surtout de bout en bout, est la bête noire des forces de l’ordre depuis longtemps. Rappelons qu’avec ce type de protection, le fournisseur du service ne voit pas le contenu des échanges. Ce principe est central dans certaines messageries, comme Olvid et Signal (dont le protocole est utilisé par WhatsApp) et dans un nombre croissant de produits et services.
Depuis des années, les différentes forces de police dans le monde se plaignent du ralentissement dans les enquêtes, voire de l’impossibilité de les boucler. Sans même parler de chiffrement de bout en bout, le chiffrement « simple » peut déjà représenter une barrière. On se souvient de la vive opposition entre Apple et le FBI autour du téléphone récupéré sur un terroriste après le massacre de San Bernardino. Le FBI, qui ne possédait pas le code PIN de l’appareil (utilisé pour composer la clé de chiffrement), avait exigé d’Apple qu’elle fore dans ses propres défenses. Refus de l’entreprise et escalade, jusqu’à frôler le procès. Le FBI avait finalement utilisé une faille pour contourner le problème.
« Lorsque nous avons un mandat de perquisition, que nous nous trouvons devant une maison dont la porte est fermée à clé et que nous savons que le criminel se trouve à l’intérieur de la maison, la population n’acceptera pas que nous ne puissions pas entrer », a imagé Catherine De Bolle, comme l’a rapporté le Financial Times. « Dans un environnement numérique, la police doit être en mesure de décoder ces messages pour lutter contre la criminalité. Vous ne pourrez pas faire respecter la démocratie [sans cela] ».
Intensification des efforts
Sous sa direction, l’agence Europol a doublé ses effectifs, atteignant aujourd’hui 1 700 personnes environ. Rappelons qu’Europol a pour mission de faciliter les échanges d’informations entre les polices nationales au sein de l’Union européenne. Elle le fait dans quatre domaines : lutte contre les stupéfiants, terrorisme, criminalité internationale et pédocriminalité. Catherine De Bolle, de nationalité belge, en a pris la direction le 1er mai 2018.
C’est sous cette direction qu’Europol a remporté plusieurs importants succès, notamment avec les messageries chiffrées EncroChat et Sky ECC, conduisant à des milliers d’arrestations et des saisies records. Elle était largement impliquée également dans le démantèlement de Lockbit. Pour Catherine De Bolle cependant, ces succès sont insuffisants et mobilisent trop de moyens.
L’année dernière, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a déclaré qu’elle souhaitait renforcer les effectifs de l’agence. Dans l’ensemble cependant, la structure reste globalement la même. Catherine De Bolle ne s’attend pas non à plus à des évolutions majeures dans le fonctionnement d’Europol avec la deuxième présidence de Donald Trump, au vu du premier mandat. Au sein de d’Europol, une trentaine de postes sont occupés par des fonctionnaires américains provenant de diverses agences, dont le FBI.
La solution ? Des portes dérobées
La position d’Europol est que les messageries intégrant le chiffrement de bout en bout devraient être capables d’intégrer des portes dérobées. Sur présentation d’un mandat – et uniquement dans ce cas – les forces de l’ordre pourraient alors obtenir une copie des messages, permettant une progression décisive dans un nombre croissant d’enquêtes.
Le sujet a été mainte fois débattu. Les experts en sécurité et jusqu’aux grandes entreprises de la tech ont mis en garde contre cette idée, toujours pour la même raison : une porte dérobée, même créée pour des raisons légitimes, finira tôt ou tard par être trouvée. Il ne s’agit pas d’une faille que l’on pourra corriger aisément, mais d’une fonction du protocole de communication. Et si la porte doit être a priori utilisée par les forces de l’ordre, elle pourra l’être également par les pirates.
Si l’idée d’Europol d’un « chiffrement de bout en bout flexible » est claire, celle du reste de l’Europe ne l’est pas. Le sujet divise depuis de nombreuses années et les 27 sont loin d’être en accord, au grand dam d’ailleurs de Catherine De Bolle.
En France, des voix s’élèvent régulièrement pour les portes dérobées. C’était le cas en octobre 2023, quand Gérard Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, déclarait : « On doit pouvoir négocier une porte dérobée ». Même propos en 2016 avec Bernard Cazeneuve, lui aussi ministre de l’Intérieur : « C’est l’un des sujets absolument cruciaux de la lutte anti-terroriste et sur lequel il faut que nous soyons en situation d’avancer et de progresser ensemble ».
Catherine De Bolle n’en démord pas toutefois. Elle a annoncé au Forum de Davos qu’elle partirait rencontrer les « Big Techs » pour évoquer le sujet. Mais à moins d’un alignement politique international et de profonds changements législatifs, il est peu probable que le sujet avance avec les entreprises américaines. Certaines d’entre elles, tout particulièrement Apple, font de la sécurité et du chiffrement un argument de vente. On se rappelle d’ailleurs qu’Apple avait tenté d’installer un dispositif proactif pour lutter contre la pédocriminalité. La levée de boucliers avait été immédiate et intense, la société renonçant finalement à son projet.