Wiki va là ?
La fondation Wikimedia remettait en cause le système de catégorisation des sites de la loi britannique dite « sur la sécurité en ligne » qui prévoit de forcer certains sites à vérifier l’identité de leurs utilisateurs. Si l’organisation a perdu lundi devant la Haute Cour de justice de Londres à propos de la remise en cause globale du système, elle pourra encore contester la classification de l’encyclopédie si le gouvernement veut forcer Wikipédia à contrôler l’identité de ses utilisateurs.
La loi britannique dite « sur la sécurité en ligne » (Online Safety Act, en anglais), pourrait obliger Wikipédia à mettre en place un système de vérification d’identité pour ses utilisateurs. Ce texte prévoit un système de catégorisation des sites qui détermine lesquels doivent se conformer aux nouvelles obligations.
C’est ce dispositif de la loi que la fondation Wikimedia remettait en cause devant la Haute Cour de justice de Londres. Celle-ci a rejeté ce lundi 11 aout ses arguments, mais ne donne pas un feu vert pour une catégorisation de l’encyclopédie qui entraverait considérablement ses activités.
Obligation d’un système de contrôle d’âge pour les très grandes plateformes
L’Online Safety Act oblige les sites avec un nombre important d’utilisateurs situés au Royaume-Uni et qui utilisent un système de recommandation de contenus à mettre en place un système de contrôle de l’âge de l’utilisateur pour contrôler le type de contenu que les mineurs voient et les personnes avec lesquelles ils interagissent en ligne.
Ainsi, Reddit a par exemple prévenu ses utilisateurs le mois dernier qu’elle mettait en place un système de vérification d’âge : « à partir du 14 juillet au Royaume-Uni, nous commencerons à recueillir et à vérifier votre âge avant que vous puissiez consulter certains contenus destinés à un public adulte », expliquait la plateforme.
Craintes d’une classification de Wikipédia dans cette catégorie
La fondation Wikimedia craint que l’Ofcom, le régulateur britannique, considère que Wikipédia entre dans cette catégorie et oblige donc l’encyclopédie participative à mettre en place un système de contrôle de l’âge.
« Si elles étaient appliquées sur Wikipédia, les exigences de la catégorie 1 porteraient atteinte à la vie privée et à la sécurité des contributeurs bénévoles de Wikipédia, exposeraient l’encyclopédie à la manipulation et au vandalisme, et détourneraient des ressources essentielles destinées à protéger les personnes et à améliorer Wikipédia, l’un des biens publics numériques les plus fiables et les plus utilisés au monde », estimait la fondation Wikimedia mi-juillet.
« Si Wikipédia est classée dans la catégorie 1, la Fondation Wikimedia devra vérifier l’identité des utilisateurs de Wikipédia », affirme-t-elle :
« Cette règle n’oblige pas en soi chaque utilisateur à se soumettre à une vérification, mais en vertu d’une règle connexe (s.15(10)(a)), la Fondation devrait également autoriser d’autres utilisateurs (potentiellement malveillants) à empêcher tous les utilisateurs non vérifiés de modifier ou de supprimer tout contenu qu’ils publient. Cela pourrait entraîner une augmentation significative des actes de vandalisme, de désinformation ou d’abus sur Wikipédia, à moins que les bénévoles de tous âges et de tous horizons ne se soumettent à une vérification d’identité. »
Un jugement qui confirme le système, mais tend à protéger Wikipédia
Dans son jugement [PDF], le juge de a Haute Cour de justice de Londres a réfuté les arguments de la fondation sur la violation de la loi britannique sur les droits de l’homme. Mais il ajoute que « cela ne donne pas à l’Ofcom et au secrétaire d’État le feu vert pour mettre en place un régime qui entraverait considérablement le fonctionnement de Wikipédia ».
« S’ils devaient le faire, cela devrait être justifié comme étant proportionné afin de ne pas constituer une violation du droit à la liberté d’expression […]. Il est toutefois prématuré de se prononcer à ce sujet pour l’instant », explique-t-il puisque « aucune des deux parties n’a demandé à ce qu’il soit statué sur la question de savoir si Wikipédia est un service de catégorie 1 ».
Mais dans son jugement, le juge britannique se projette quand même dans le cas craint par la fondation : « si l’Ofcom détermine que Wikipédia est un service de catégorie 1 et si cela a pour effet pratique que Wikipédia ne peut plus continuer à fonctionner, le secrétaire d’État pourrait être obligé d’examiner s’il convient de modifier la réglementation ou d’exempter certaines catégories de services de l’application de la loi ».
Interrogée par la BBC, l’Ofcom n’a fait qu’un bref commentaire : « Nous prenons note du jugement rendu par le tribunal et continuerons à faire avancer nos travaux concernant les services classés et les règles supplémentaires de sécurité en ligne qui s’appliquent à ces entreprises ».
« Bien que cette décision n’offre pas à Wikipédia la protection juridique immédiate que nous espérions, le jugement de la cour a souligné la responsabilité de l’Ofcom et du gouvernement britannique de veiller à ce que Wikipédia soit protégée lors de la mise en œuvre de la loi sur la sécurité en ligne », considère Phil Bradley-Schmieg, l’avocat principal de la Fondation Wikimedia interrogé par le Guardian.
Il souligne aussi le fait que le juge a reconnu « la « valeur significative » de Wikipédia, sa sécurité pour les utilisateurs, ainsi que les dommages que des classifications et des obligations OSA attribuées à tort pourraient causer aux droits humains des contributeurs bénévoles de Wikipédia ».
De son côté, selon l’avocate du gouvernement britannique Cecilia Ivimy KC, interrogée elle aussi par le Guardian, les ministres ont décidé que Wikipédia « est en principe un service approprié auquel imposer des droits de catégorie 1 ».
Des critiques au-delà de l’encyclopédie
Les critiques sur cette loi ne viennent pas seulement de la fondation Wikimedia. « Cette loi fonctionne exactement aussi mal que l’avaient prédit ses détracteurs : l’utilisation des VPN au Royaume-Uni a littéralement explosé. Proton VPN a signalé une augmentation de 1 800 % des inscriptions au Royaume-Uni », explique TechDirt.
Nos confrères de 404 média pointent le fait que les utilisateurs britanniques doivent maintenant soumettre un selfie pour qu’un algorithme de Spotify détermine leur âge et leur permettent d’accéder à des vidéos musicales étiquetées pour adultes diffusées par la plateforme.
La BBC ajoute que l’accès à des contenus à propos des guerres d’invasion en Ukraine et à Gaza étaient aussi soumis à ce genre d’outils sur X et Reddit. Et l’association Free Speech Union a aussi relevé ce genre de restriction sur des contenus à propos de manifestations dans le pays.
Selon l’institut de sondage YouGov, alors que les britanniques étaient 80 % en faveur du texte avant sa mise en place, ce chiffre est passé à 69 % une semaine après.